Le troisième roman d’Alexandre Seurat nous plonge dans les turpitudes de l’âme humaine. D’une maison de vacances, hors saison, à un hôpital psychiatrique… Chronique d’un jeune homme à la dérive. Débordé par la vie. Submergé par une société qui semble aller trop vite. Trouver le juste équilibre pour ne pas s’abîmer.
© Tina Merandon – Signatures
Le personnage principal du roman d’Alexandre Seurat n’a pas de nom. Même pas de prénom. Contrairement à ceux qui l’entourent. Il y a Solenne : la petite amie qui vient de partir. Il y a Martin, l’ancien camarade surgit du passé. Et puis Germaine, si aimante. Mais le jeune homme traverse ce roman sur le fil, dans l’anonymat. Évidemment, le funambule du titre, c’est lui. Mais cela pourrait tout aussi bien être chacun d’entre nous. Basculer peut si vite arriver.
« Quand il se regarda dans le miroir de la salle de bain, il fut surpris par ce visage creusé, tiré, et par ce regard vide. »
Un billet de train déposé sur la table du salon. Un taxi vient le chercher. En ce jour de fête des mères, c’est l’occasion de renouer avec ses racines. Comme dans un dernier sursaut ou dans une énième pulsion de vie, le jeune homme va au rendez-vous. Pour faire plaisir à ses parents, croit-il ? Pour régler ses comptes, peut-être ? Ou plus vraisemblablement, pour essayer de sauver sa peau ? Lui qui ne se sent bien qu’à l’abri de son refuge, se confronter au monde est une épreuve. S’il n’a jamais été sociable croit-on comprendre, au fil des années, son isolement s’est empiré. Se comparer, toujours, semble lui asséner la société. Une éternelle compétition qui l’use. Une pression qu’il s’inflige.
« Il regardait trop à l’extérieur de lui, disait Solenne. ll ne se concentrait pas assez sur lui, sur ses sensations. Il ne fallait pas s’inquiéter des autres, de la situation des autres. Ce qui comptait, c’était où on en est soi, à quelle étape de son cheminement personnel, répétait-elle. C’était tout ce qui comptait d’après elle, et ça l’énervait, Solenne, qu’il perde du temps à ces comparaisons avec des gens insignifiants. Insignifiants ? Mais c’était eux qui avaient le pouvoir, le succès, devant qui toutes les portes s’ouvraient. Alors elle haussait les épaules, elle disait, Ton Problème c’est ça. Et il devait reconnaître qu’il ne savait pas ce qu’il enviait en eux : il n’aurait pas voulu leur ressembler, mais il aurait voulu être à leur place, ce devait être de la haine. »
Être à leur place, ou tout simplement avoir une place dans ce tourbillon de la vie. Alexandre Seurat raconte avec justesse les petites solitudes du quotidien et les grandes souffrances du cœur. La mélancolie qui se transforme en dépression. On suit les turpitudes d’un jeune homme qui se noie, un peu plus chaque jour, dans son désir d’être un autre. La souffrance est contagieuse et effrayante. L’auteur réussi impeccablement à nous montrer cela. L’amour filial peut être oppressant. La mère, le père, la sœur sont impuissants face à ce jeune homme qu’ils ne comprennent plus. Leurs regards sont intrusifs. Leurs propos maladroits. Creusant un peu plus encore le fossé qui les sépare. La chaleur de la maison familiale pour les uns. Le glacial et impersonnel couloir de l’hôpital pour le protagoniste. Comme le seul refuge possible pour ce jeune homme désorienté, n’arrivant pas à se faire une place dans le monde moderne. Un triste constat de notre société. Un très beau roman. Un précieux auteur qui fait entendre des voix dissonantes.
Delphine Blanchard
Un funambule
Roman d’Alexandre Seurat
Éditions du Rouergue
96 pages, 12 €
Date de parution : 3 janvier 2018