Antoine tient une bouquinerie au fin fond de ce qui ressemble aux forêts du Médoc. Sa vie d’amoureux des livres est paisible. Sa vie d’homme âgé s’est peu à peu transformée en belle endormie. Lorraine, jeune et fougueuse conteuse, va-t-elle réveiller la bête ? Un conte d’été, version Éric Holder.
© Hermance Triay/Opale/Leemage
Il y a un peu de La Belle et la Bête dans ce dernier roman d’Éric Holder. Non pas que son personnage, Antoine, soit monstrueux. Plutôt que sous les traits du libraire enfermé dans sa tanière, se cache un homme victime d’un sortilège. Celui de la vieillesse. Ce naufrage, comme disait l’autre ! Et si Antoine peut parfois être aigri et revêche, n’est-ce pas simplement parce que les années qui passent et le corps qui flétrit lui donnent la nausée ? Il caresse ses livres et nourrit ses chats, faute de caresser une vie plus joyeuse et de se nourrir d’amour et d’eau fraîche.
Mais c’est ici que Lorraine fait son entrée dans la vie d’Antoine. Que le désir se rappelle à lui. Un désir charnel mais surtout un désir de vivre. Sortir de sa tanière. Sentir de nouveau le ventre qui tiraille et les coups au cœur. Oui, ça fait mal, constate Antoine. Mais sans cette douleur, à quoi bon vivre ? Alors Antoine va se brûler un peu la cuirasse, mais aussi brûler de désir pour la belle qui n’a pas sommeil.
« Elle m’a adossé à l’évier, sa poitrine épouse la mienne, nos ventres se rejoignent. Dès lors, ce qu’ils esquissent accroît le message conçu dans le secret des bouches. Les mains qui n’en font qu’à notre gré, achèvent de le compléter. Nous gagnons la chambre sans cesser de nous caresser. »
À l’image de cet extrait, c’est Lorraine qui mène la danse dans cette histoire. Et l’on aime bien qu’Éric Holder écrive, certes, de son point de vue, mais sans oublier de laisser une jolie place à sa protagoniste. Ni Antoine ni Lorraine n’ont le beau rôle. Parce que la vie et ses actes ne sont pas dichotomiques. Ni bon ni méchant. Juste une âme en peine qui décide de faire un bout de chemin avec une tornade. Antoine est veule. Lorraine est ingrate. Antoine est amoureux. Lorraine aime être aimée.
« Il suffirait de frapper à sa porte, toc, toc :
“Salut ma belle, besoin de rien ?“ Ou bien la vérité : “Je me faisais du souci…“
Notre connivence est telle, cependant, notre arrangement si défini — elle s’est toujours invitée, moi jamais —, qu’il y aurait moins de courage à lui rendre visite que de maladresse. Compte tenu de son tempérament, me montrer intrusif, ne serait-ce qu’une fois, équivaudrait à perdre de nombreux points. »
Éric Holder aime Antoine et Lorraine. Son écriture est emplie de tendresse pour ses personnages. Tout en nous épargnant les bons sentiments. Ce qui donne une densité à ce roman éclatant et bouillonnant comme une idylle saisonnière. Parfois grave et intense. Souvent lumineux et exaltant. Les jeunes premiers n’ont qu’à bien se tenir. En écriture comme dans la vie, la maturité s’acquiert grâce aux expériences vécues. Éric Holder excelle à nous conter ses amours d’été… Aussi fringant qu’un jeune premier.
Delphine Blanchard
La belle n’a pas sommeil
Roman d’Éric Holder
Éditeur : Le Seuil
224 pages, 18 €
Date de parution : 4 janvier 2018