Pierre Lemarchand revient dans un ouvrage concis à un des disques fondamentaux de ces trente dernières années, le sublime Fantaisie Militaire d’Alain Bashung.
Pour être tout à fait honnête, je suis arrivé à Bashung sur le tard. N’y voyez pas du dédain ou encore du mépris pour l’artiste mais peut-être plus de la paresse de ma part. A l’époque où sort Fantaisie Militaire en 1998, je suis sans doute arrivé à un stade de maturité qui me permet alors de mieux appréhender les multiples dimensions d’un homme bien trop complexe pour moi.
Quoi de mieux alors pour appréhender avec le recul nécessaire ce disque qui fît basculer Alain Bashung dans une autre dimension que ce livre minuscule dans ses proportions, mais énorme dans ses pistes d’éclairage ?
Pierre Lemarchand, on l’aura déjà repéré à la faveur d’une émission de radio, Eldorado, consacrée au Rock indépendant au sens large mais aussi d’un beau livre, Karen Dalton, le souvenir des montagnes déjà chez Discogonie. Ce qui frappe dès le début de cette lecture, c’est que comme moi, l’auteur a vraiment découvert l’artiste avec ce disque.
Pour les plus jeunes d’entre vous, essayez de vous remettre dans le contexte. 1998, depuis quelques années, une arrière-garde musicale vient bousculer le Rock poussiéreux de Téléphone et consorts.Pourtant, jusqu’ici, on n’est pas vraiment parvenu à concilier textes et énergie. Il faudra attendre Dominique A et La Fossette pour enfin voir la musique d’ici se coltiner à quelque chose de viscéralement littéraire et riche. Aussi étrange que cela puisse paraître, alors que Dominique A se réclame de Bashung, ne pourrait-on dire que sans Dominique A, la jeune génération dont je fais partie n’aurait-peut-être jamais rencontré Bashung ?
La force des grands disques, c’est qu’ils deviennent des voies d’entrée, des introductions à tout le reste d’une œuvre, l’échelle de réévaluation d’un parcours. Pierre Lemarchand raconte tout au fil de ces 142 pages le long processus de deux ans qui amena à Fantaisie Militaire. Me revient un échange avec Christophe Miossec, il y a quelques années sur sa propre collaboration avec Bashung sur L’imprudence, autre immense disque. Le brestois envoie un texte à son aîné à sa demande. Quelques jours plus tard, Bashung lui renvoie les pistes du futur disque en le remerciant de son texte. Miossec écoute l’ensemble et est bien penaud à la fin car visiblement Bashung n’a pas utilisé ses paroles. Il l’appelle pour en parler avec lui et Bashung de lui expliquer que si, il a bel et bien utilisé ses mots mais qu’il en extrait des éléments et les triture. Bashung, c’est exactement cela. Un artiste qui triture, qui malaxe et picore. Faire d’un matériau composite un tout plein et entier.
Certains préfèreront la noirceur janséniste de L’Imprudence, d’autres la relative ligne claire de Fantaisie Militaire. D’autres encore comme moi ne sauront choisir entre les deux. Mais ce qui est passionnant dans ce livre à la concision exemplaire, c’est qu’il permet de mettre Alain Bashung dans la posture d’un musicien en plein acte créatif, bien éloigné de cette formule figée du grand commandeur d’un Rock d’ici dans lequel son décès l’a un peu placé.
Fantaisie Militaire par Pierre Lemarchand se lit comme un policier avec une intrigue dont on connaîtrait déjà la fin sans pour autant en détériorer le plaisir. Dire les choses sans enlever le mystère du processus de composition.
Greg Bod
Alain Bashung Fantaisie militaire
Auteur : Pierre Lemarchand
Editions densité / Collection Discogonie
72 pages – 9,95€
Sortie : le 25 janvier 2018