Véritable plongée cauchemardesque au cœur de Paris, comme métaphore de la peur des autres, un habile film de survie qui explore l’ultra moderne solitude.
Cet astucieux film fantastique conte le destin de Sam, un jeune homme se réveillant dans un appartement haussmannien à Paris, au lendemain d’une fête, et découvre avec horreur que les lieux ont été saccagés et qu’il se retrouve seul rescapé, alors que les rues de Paris sont envahies par des hordes de morts-vivant. Mais est-il vraiment le dernier survivant ?
Pour son premier long métrage le réalisateur Dominique Rocher confirme l’élan du cinéma français pour les films de genre après le succès mérité de Grave (2017) de Julia Ducournau, le revenge movie gore Revenge (2018) de Coralie Fargeat et les futures productions Les Garçons sauvages, Ghostland, Dans la brume et 4 Histoires fantastiques notamment. Le réalisateur choisit d’adapter sur grand écran le roman éponyme de Pit Agarmen (Martin Page) publié en 2012 avec un budget modeste par rapport aux productions habituelles, pour ce type de films, qui ne cessent d’agrandir son auditoire depuis l’originel cinématographique La nuit des morts-vivants (1968) de George A. Romero, jusqu’à la célèbre série The Walking Dead.
D’entrée d’immeuble et d’histoire, la caméra nous présente Sam arriver chez son ex pour récupérer de vieilles K7 audio alors qu’un fête bat son plein, et que le jeune homme semble totalement réfractaire à ce côté festif, avant de s’endormir isolé dans une chambre, complètement étranger aux autres et à la nuit horrifique s’abattant sur Paris, ville des Lumières devenue obscure. Le cinéaste offre par le biais de cette intrigue succincte un atypique survival apocalyptique qui se réapproprie astucieusement le genre zombie au cœur de la capitale. Le metteur en scène reste humble dans sa manière de filmer en livrant une mise en scène minimaliste quasiment toujours en huis-clos se servant avec ingéniosité des décors étroits sans forcément jouer la carte de la terreur (malgré de très bons moments de tensions) et du gore par un bruitage parfaitement dosé et une hémoglobine raisonnable. Un parti-pris modeste dans la réalisation tout à son honneur, permettant d’ingurgiter çà et là de judicieuses références cinéphiles bienvenues, entre Seul au monde (2000) de Robert Zemeckis pour le côté Robinson Crusoé et la débrouille pour trouver eau et nourriture et les références Le Monde, la Chair et le Diable (1959) de Ranald MacDougall et Le Survivant (1971) de Boris Sagal notamment, sans que cela plombe un malin récit austère bien ficelé.
Le réalisateur se place du point de vue du survivant en le plongeant dans le vide absolu, nous offre des vues saisissantes de rues de Paris désertes où en proie au chaos, une somptueuse séquence visuelle entre nuit et brouillard au milieu des zombies et oriente son projet vers un habile drame horrifique intimiste et psychologique à l’atmosphère silencieuse, malgré le danger qui guette derrière les portes et différentes cloisons de l’immeuble. Dominique Rocher explore savamment la psychologique de son anti héros au bord du gouffre en évitant brillamment une narration un peu longue grâce à un montage pertinent, des touches humoristiques (parties de paintball, footing, Alfred) et des respirations poétiques (créations musicales), comme seuls moments de vies au milieu d’une solitude vertigineuse.
Une métaphore de nos vies dans des mégalopoles où l’attention portée aux autres semble définitivement disparue au profit d’une apathie généralisée. Sommes-nous déjà ces morts-vivants qui s’ignorent ? Pour porter cette fiction réaliste inspirée le cinéaste livre un casting épatant avec l’excellent et vibrant Anders Danielsen Lie, accompagné par un très surprenant Denis Lavant et une touchante Golshifteh Farahani. Venez découvrir cet exercice de style épuré réussi et voir si définitivement La Nuit a dévoré le monde. Séduisant. Mélancolique. Efficace. Un premier film très prometteur. À suivre…
Sébastien Boully
La Nuit a dévoré le monde
Film français réalisé par Dominique Rocher
Avec Anders Danielsen Lie, Denis Lavant, Golshifteh Farahani
Genre : Fantastique
Durée : 1h34m
Date de sortie : 7 mars 2018