Une quête onirique autour d’un bâtiment fascinant, perdu dans les Alpes suisses : les thermes de Vals. Une première œuvre prometteuse au suspense psychologique omniprésent.
Fasciné par les thermes de Vals, un bâtiment conçu par l’architecte Peter Zumthor, un jeune étudiant parisien décide de se rendre dans les Alpes suisses pour vérifier de quoi il retourne. Cette quête très particulière va le mener sur des chemins étranges et insolites dont il ne peut soupçonner l’issue, car d’issue il n’y a point dès lors que la montagne vous engloutit…
Il est certains titres qui s’accordent si bien à l’œuvre que cela en est troublant. Tout d’abord, c’est le grand format qui retient l’attention mais surtout la reliure soignée avec son dos toilé. L’objet en lui-même semble exercer un certain magnétisme dès l’instant où on le feuillette. Grâce à sa colorisation trichromique et son graphisme « vintage », on est comme happé par cet univers singulier, à la croisée d’Hergé et de Charles Burn, fait de longues plages silencieuses et intrigantes.
De Hergé, on retrouve non seulement cette ligne claire et ce souci porté au réalisme des décors, mais également le personnage de Pierre qui évoque immédiatement Tintin, pas seulement dans l’aspect et la jeunesse mais aussi dans sa curiosité de détective et sa propension à se retrouver dans des situations périlleuses. En voyant Pierre sillonner les sombres dédales des thermes de Vals, dont la froide minéralité apparaît un rien menaçante une fois passée l’heure de fermeture, c’est l’image du reporter à la houpe qui se superpose, par exemple lorsque celui-ci arpente les labyrinthes de « l’Île noire », à moins que ce ne soit ceux de la pyramide dans les « Cigares du pharaon »… Et puis ces éléments mystérieux émaillant le récit, qui rapprocheraient plutôt « L’Aimant » de l’œuvre de Burns, tel ce Zippo, celui de Pierre, qui s’impose comme un objet-clé de l’histoire, mais cela on ne le comprendra qu’en toute fin de l’ouvrage. Et puis ces événements inexplicables, comme ce caillou projeté par une fenêtre du train où voyage Pierre, juste avant son arrivée à Vals, un caillou comme « aimanté » par le jeune homme, lancé ni d’on ne sait où ni par qui (la montagne ?).
Mais que donc cherche ce jeune étudiant, à coup de croquis savants, fortement attiré par ce bâtiment aux lignes si modernes et si pures qu’on finit nous-mêmes, en tant que lecteurs, par trouver fascinant ? Une porte dérobée sans doute, mais qui mènerait où ? Quant aux thermes, ils sont un personnage à eux seuls, comme doté d’une âme propre, formant avec Pierre et la montagne avoisinante une sorte de trio amoureux relié par une force irrépressible. Un trio dont la communication silencieuse semble inaccessible au commun des mortels, lequel peut au mieux déduire un lien évident avec la « pierre », représentée par ce mineral aux propriétés magnétiques, vraisemblablement contenu dans les entrailles de la montagne surplombant les thermes, elles-mêmes à moitié enfouies dans la terre. Et c’est peut-être bien, de façon consciente ou non chez son auteur, ce qui a inspiré le titre, car dans « aimant » il y a « aimer », et en amour il est toujours question d’attirance et de magnétisme…
C’est une bien belle découverte que cet auteur, dont c’est la première bande dessinée, et qui nous propose ici une promenade architecturale oscillant entre réalisme et onirisme, sur fond de légende locale. Même si le dénouement peut laisser une impression d’inachevé, Lucas Harari rentre incontestablement dans la caste des artistes à suivre dans le monde du neuvième art.
Laurent Proudhon
L’Aimant
Scénario & dessin : Lucas Harari
Editeur : Sarbacane
152 pages – 25 €
Parution : 23 août 2017