Ivan Jablonka raconte son enfance et ses vacances en toute liberté. Comme l’écrivain est aussi historien, cela donne un récit sociologique sur l’insouciance des années 80. Le camping-car comme moyen d’émancipation. Un magnifique portrait familial et un émouvant témoignage sur la filiation.
(© Hermance Triay)
Une tradition très française consiste à mettre les artistes, et plus généralement les citoyens, dans des cases. Si Ivan Jablonka est historien, il ne peut donc pas être écrivain. Chacun dans sa case et le monde est ainsi immuable. Beaucoup lui font donc le reproche. Alors que c’est évidemment parce qu’il est historien que ses livres ont de l’épaisseur. Tant littéraire, que sociologique et historique.
Il nous l’avait déjà prouvé via son époustouflant récit Laëtitia, ou la fin des hommes, narrant avec précision et finesse un fait-divers ligérien. Avec En camping-car, le récit se fait plus personnel. Et c’est en parlant de soi que l’on touche à l’universel. Ivan Jablonka écrit sur sa jeunesse. Une enfance faite de voyages dans les années 80. En combi Volkswagen qui n’était pas encore objet de culte vintage ! Il nous raconte, à hauteur du jeune garçon qu’il était, les séjours au Portugal, en Grèce, au Maroc, en Italie… Il les analyse avec le recul de l’homme qu’il est devenu, et encore plus avec le regard distancié de l’historien. La première scène est éclairante. L’injonction du père : « Soyez heureux ! » est fulgurante et la force de ce livre réside dans cette quête du bonheur et le rapport au père.
« Soyez heureux ! »
Mon père s’est tourné vers nous, le visage écarlate, les traits déformés par la colère.
Son hurlement nous a fait sursauter. L’ordre qui vient de rugir a une démesure à laquelle notre vie ne peut résister. Nous sommes suspendus ente terreur et sidération, figés dans l’attente, prêts à être anéantis. »
Scène de la vie normale. Quatre enfants à l’arrière d’un camping-car se plaignant de s’embêter et refusant de regarder, par la fenêtre, le paysage estival. Sauf que des années pus tard, l’auteur comprend le père et, sans renier l’enfant ingrat qu’il a pu être, tente d’expliquer comment il a essayé de se construire avec, contre et malgré cette injonction.
« Mon père ne pouvait être heureux que s’il pensait que nous l’étions. La plupart du temps, il se convainquait que nous étions malheureux… (…) Cette certitude le déprimait et, dès lors, il m’était difficile de savoir si j’était heureux ou malheureux, et même de décider ce qu’est le bonheur… (…) Cet état que mon père voulait pour nous. »
Sentiment alors d’incarner le « mauvais fils ». Comment se construire de la sorte ? Le récit de vacances se transforme ainsi en introspection solaire pour finir en fable paternel. Un hommage à la figure du père qui, malgré les énervements fugaces, aura surtout inculqué l’ouverture au monde et le respect pour autrui. La fable se fait aussi parfois anti-conte moderne.
L’auteur écrit : « Pas de compte Facebook pour poster en temps réel ses photos de vacances, pas de hashtag #VanLife pour dire sur Instagram la jubilation de la vie en camping-car. »
Non juste la vie qu’on vit à fond, sans filtre. Qu’on regarde avec les yeux et pas à travers son écran de smartphone. La vie qu’on savoure et surtout qu’on partage avec les gens qu’on aime. En camping-car est une ode à la famille, à ce qu’elle nous donne, à ce que l’on veut bien en recevoir. Souriez et surtout, surtout, profitez…
Delphine Blanchard
En camping car
Ivan Jablonka
Le Seuil. Coll. La librairie du XXIe siècle
168 pages, 17 €
Date de parution : 4 janvier 2018