Chaque génération a ses artistes majeurs, ceux qui servent de moteur et de guide pour tous les autres. Dans ces années 2010 finissantes, parmi ceux qui montrent la voie vers une pop de très grande classe, il y a Rémy Poncet et son Chevalrex.
Credit photo : Greg Bod
Vous savez déjà tout le bien que l’on pense chez Benzine Magazine de Rémy Poncet avec son projet Chevalrex. Nous avions consacré « Album de l’année 2016 » le sublime Futurisme. Ce disque avait définitivement installé un nom dans les esprits. Anti Slogan impose un immense artiste comme on en croise rarement. Vous savez… Un Dominique A, un Bashung. Des créateurs, des livres ouverts et passionnants. Anti Slogan est de ce registre-là, un disque majeur faussement léger avec cette classe dandy de celui qui ne cherche à rien imposer.
Bien de son temps mais aussi d’ailleurs, Chevalrex cherche le sens de l’histoire dans des mélodies soyeuses comme un confort premier, pas si éloignés d’Albin De La Simone ou de Yves Simon. Chez Poncet, le monde n’est ni noir ni blanc mais dans un entre-deux qui ne se refuse pas l’espérance même si cela a peu de sens. Il le chante d’une voix à la fois douce et paradoxalement atone, expressive et blanche. Il chantait la fratrie dans Futurisme, il s’adresse ici à ses parents. Chevalrex, c’est le messager d’une génération sans slogan et sans formule qui se coltine avec le pétrin, essaie de garder la tête hors de l’eau et un peu de dignité. Rémy Poncet n’est pas un moraliste mais un suggestif ouvert sur un monde des possibles.
Côté arrangements, il ne trouve pas de solution au dilemme, à la fois classique et aventureux. Il met en évidence certains points de détails, des ruptures et autres mises en situation. Des petits riens, des presque pas grand chose. Mocke doit y être pour beaucoup en y joignant sa guitare dérivante et onirique. Car la Pop de Rémy Poncet se refuse à être d’un seul tenant, elle se décloisonne et doit autant à la musique de film façon François de Roubaix qu’aux grands arrangeurs un peu oubliés comme Pierre Bondu.
Au point de départ du disque, il y a cette phrase de Wiltold Gombrowicz :
“À l’écart de tous les slogans, ce qui m’attache dans une oeuvre d’art, c’est cette secrète déviation par quoi, tout en relevant de son époque, elle n’en demeure pas moins l’oeuvre d’un individu bien distinct, vivant sa propre vie.”
Rémy Poncet est de ce monde et hors le monde, ni vraiment là, ni vraiment dissipé. Chevalrex chante la mélancolie des moments que l’on n’a pas encore vécus. Il esquisse les petits instants ternes qui font la flamboyance du commun. On pensera souvent au Dominique Dalcan de Cannibale pour ces mêmes mélodies ligne claire (obscure).
Il est parfois intéressant de s’attarder sur les pochettes par-delà les seules considérations esthétiques. Du premier disque avec son visage mangé par le vinyle à son second de profil au dernier de son visage dessiné, on comprend que l’on est bien face à l’oeuvre de quelqu’un qui s’assume aussi bien en tant que chanteur, qu’arrangeur ou compositeur, bref en créateur. Le regard droit d’un homme face à sa vie et le monde auquel il appartient.
Il y a peu de chances que l’on entende à nouveau cette année des arrangements aussi riches, si humbles et ambitieux à la fois que ceux qui nous transportent dans Anti Slogan. Ce qui fait toute la beauté, c’est cette intransigeance à ne pas vouloir limiter sa curiosité et à volontiers esquiver les lignes droites trop évidentes.Il faut entendre cette trompette qui redonne toute sa pertinence à un instrument un peu délaissé dans les chansons d’aujourd’hui. Il nous fait avaler quelques couleuvres, malin comme un renard. Vous vous croyez dans un monde Pop mais sa propension à l’onirisme l’emporte sur la raison et tout risque de facilité. La musique de Rémy Poncet est imprévisible et cyclothymique, ce qui donne à cette proposition toute la force de son originalité.
Etrange hasard du calendrier, Anti Slogan est sorti le même jour que Toute Latitude, dernier superbe disque de Dominique A, belle preuve d’une chanson francophone en belle santé. Avec ce dernier album, Chevalrex signe une oeuvre d’ouverture, lumineuse et forte qui éclaire la nuit et les chemins comme un phare guide les voiles. Un disque majeur de 2018, un disque majeur tout court qui fera école et donnera un cap.
Greg Bod
Chevalrex – Anti Slogan
Label : Vietnam / Because Music
Date de sortie : 09 mars 2018