On ne pouvait passer à côté de ce disque essentiel de 2017 qu’est Boustrophédon de Nicolas Paugam. Il chante une Pop régressive et inventive qui se joue des limites.
Autant le dire de suite, ça fait bien longtemps que j’écoute ce disque de Nicolas Paugam, Boustrophédon. Je ne savais pas vraiment comment rendre justice à ce disque brillant mais quitte à passer pour un retardataire, j’ai souhaité me donner du temps pour digérer ces chansons de Pop lumineuse.
Nicolas Paugam, on le connaissait bien sûr avec Da Capo avec le frangin Alexandre (qui a d’ailleurs sorti un superbe disque l’année dernière) mais aussi en solo pour des projets à la fois étranges, foutraques et attachants. Boustrophédon est déjà son cinquième album et poursuit sur ce même programme à l’anarchie douce. Certes, à l’écoute, l’évidence pop donne plus un sentiment d’accessibilité pour l’auditeur fraîchement accoutumé aux sonorités du Monsieur. Car il faut aussi le dire, Chez Nicolas Paugam, on navigue souvent à vue entre Dadaïsme, collages et régressions rêveuses.
Ici, il assagit un peu le propos pour privilégier une narration plus linéaire (n’y voyez rien de péjoratif). Allant et venant entre mélancolies tropicales dignes d’un Milton Nascimento ou errances brumeuses comme extraites de l’Angleterre des Sixties. Sa musique est comme un poisson qui sort du bocal, entre urgence et confusion légère.
Le grand malentendu avec Nicolas Paugam, c’est qu’il aime justement jouer avec le malentendu. Lui qui se passionne tout autant pour le Rock américain des années anciennes que la Pop d’un Burt Bacharach auquel on pense souvent ici. Lui qui n’hésite pas à exhumer il y a quelques années un vieux guitariste de Jazz, un certain Georges Megalos au nom mensonger. Un monsieur qui a accompagné la Môme Piaf, Georges Brassens, Jacques Brel, Gilbert Bécaud mais aussi Quincy Jones, Michel Legrand ou Stéphane Grapelli. Nicolas Paugam se nourrit de tout cela pour constituer un univers qui n’est finalement ni du Rock, ni de la Pop, ni du Jazz. C’est du Paugam et point final !
La principale qualité du chanteur, c’est cette ouverture d’esprit sans querelle de clocher ou atermoiement autour du bon et du moins bon goût à des années-lumière d’une scène qui se regarde le nombril.
Il y a dans ses moments les plus fous la folie d’un Jonathan Richman, le soleil curieux de Stanley Brinks. il joue avec les névroses comme Daniel Johnston.
Il trimbale un univers drolatique à la naïveté de façade, chante les exodes des villes mais n’en oublie pas pour autant une belle écriture poétique qui évoquera parfois Perec. Il sait aussi parfois poser un regard plein d’empathie sur ce monde qui l’entoure avec une distance et une pudeur émouvantes. Le disque nous balade d’instants savoureux pleins d’humour ou parfois chargés d’un hermétisme à décoder.
On pensera parfois à un Moustaki pour cette voix haute à la limite du Falsetto et de la dissonance. Nicolas Paugam évoque l’enfance, la fratrie, les souvenirs avant qu’ils ne s’effacent. Il construit Boustrophédon avec une approche évidente favorisant l’incohérence. La vie n’est pas rectiligne, les moments sont polarisés entre joies et peines, ennuis et neutralités. La musique du Monsieur n’en est qu’un résumé. C’est un ruisseau qui devient rivière puis tumulte. On retrouve chez lui un poète Beatnick, un baladin, un délicat régressif un peu comme en son temps Pierre Vassiliu.
On ne se trompera pour qualifier cet univers-là de pour le moins singulier, on appelle cela une « patte », un truc à soi, un bel équilibre entre références bien digérées et assumées et aptitude à une liberté permissive. On retrouve aussi bien sûr comme je le disais déjà plus haut cette attirance pour la musique brésilienne familière chez Nicolas Paugam. Profitons pour rappeler toutes les merveilles à découvrir du côté de ces musiques qui alimentent bien des inspirations chez nos musiciens d’ici.
Jamais trés éloigné d’un Arthur Lee avec Love ou encore des Pale Fountains de Michael Head, Nicolas Paugam n’en oublie pas de franciser ses obsessions car c’est assurément le cœur d’un « bon français » qui irrigue ces chansons. L’ami Arnaud Le Gouëfflec, chanteur de son état dit (je l’ai déjà cité ailleurs » :
« La chanson française n’existe pas »
En effet Trenet ne s’est-il pas nourri du Swing américain, Brassens du Jazz Manouche, Bécaud de la Soul ? La musique française ne serait donc que le rendez-vous de confluences entre diverses influences. Qu’est-ce qui fait la chanson française alors ? Peut-être que ce qui donne son identité hexagonale à notre musique qui pille partout ailleurs, c’est cette évidence des mots, de la création du son autant que du sens. Pour cela, Nicolas Paugam est bel et bien de cette chanson française avec sa poésie absurde et sa quête du non-sens.
Avec Boustrophédon, il nous offre une aventure palpitante,gourmande et rieuse et signe au passage une bien belle proposition qui ne se refuse pas.
Il sera en concert dans la belle ville de Saint-Flour (15) Le 15/03/2018 à Saint-Flour au Festival Hibernarock (+ Klô Pelgag) et le 22/03/2018 à Paris (75) à FGO – Barbara
Greg Bod
Nicolas Paugam – Boustrophédon
Label : Microcultures/Differ-Ant
Date de sortie : 25 août 2017