Le Dilettante publie les premiers carnets d’André Blanchard qui étaient, jusqu’à ce jour, restés dans ses tiroirs. il y fait déjà preuve des qualités littéraires et du bon sens critique que nous lui connaissons depuis la publication des précédents carnets.
Photo de K. © le dilettante
J’ai découvert André Blanchard à travers le dernier tome de ses carnets, publié peu après sa mort, il les a tenus presque jusqu’à son dernier souffle. Avant, je ne le connaissais pas, je n’avais même jamais entendu parler de lui, pourtant nous avons dû fréquenter la même université pendant deux ou trois ans et la même ville pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, Le Dilettante publie ce qui pourrait-être considéré comme le premier tome de ses carnets, la partie restée presque intégralement non publiée à ce jour. Cet opus comprend outre ses premiers carnets, Notes d’un dilettante, la partie concernant les années de 1978 à 1986, un texte, une véritable profession de foi, qu’il a intitulé Ex-voto par lequel il raconte comment et pourquoi il est entré en littérature comme d’autres entrent en religion.
Dans cet Ex-voto qui respire la patine littéraire tant il semble l’avoir peaufiné, écrit en 1999, il raconte sa vie d’enfant, né dans un milieu très modeste, ayant réussi de belles études de droit qui lui promettaient en avenir glorieux et fortuné jusqu’à ce qu’il décide, arrivé au sommet de la pyramide universitaire, de tout plaquer pour ne se consacrer qu’à la littérature. Et pas à n’importe quelle littérature, à celle qui ne rapporte rien, il repoussait aussi bien le roman, que le théâtre et la poésie. Sa passion allait aux carnets, journaux et autres textes courts qu’il lisait beaucoup et qu’il écrivait aussi pour le plus grand plaisir d’un public maigre mais très averti dans lequel figuraient de nombreux critiques littéraires. « Un des plaisirs que me procure d’habitude le Journal d’un écrivain est d’y retrouver des auteurs familiers ou que j’ai envie de connaître ». Toute sa vie durant, il dût assumer et justifier ce choix qui le maintint dans une vie marginale de privation et de souffrance car outre son manque d’argent, il vécut longtemps de petits boulots, « pionnicat » notamment, affublé de plus d’une surdité croissante et surtout de sifflements dans les oreilles, une véritable torture. Il résume son choix par cette formule lapidaire : « …le droit, c’est l’ordre ; la littérature un ordre… ».
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Notes d’un dilettante (clin d’œil à son éditeur), il en était réellement un, il raconte sa vie chichement vécue auprès d’une compagne compréhensive, évoque ses lectures, les écrivains qu’il appréciait, les affronts et remarques qu’il devait supporter et distille des avis et réflexions sur la société telle qu’elle se débine, corrompue par l’argent, le paraitre, la gloire factice, la facilité… Il commence donc ses carnets en 1978 et dès juin précise sa situation :
« C’est l’année de mes vingt-sept ans. Il faudrait peut-être que je me décide maintenant à accélérer le rythme, et à me coltiner la question essentielle qui m’échoit : qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de cette vie ? Qu’ai-je fait ? Rien ».
Le point de départ est ainsi fixé, le lecteur sait qu’il a affaire à un homme sorti brillamment de ses études, qui aurait déjà dû s’engager dans la vie active, mais Blanchard, lui, s’est engagé en littérature où il essaie de s’épanouir à la lecture des carnets et journaux de ses auteurs favoris : Flaubert, Léautaud, Julien Green, Stendhal, Montherlant, Mauriac et quelques autres mais pas tous, il reste très sélectif. Il ne lit pas la littérature étrangère ou très peu, seulement des auteurs de la Mitteleuropa, conservant une place particulière pour Nietzsche. Il ne s’intéresse pas beaucoup à la littérature anglophone et ignore même totalement les autres.
Observateur critique, il consacre de nombreuses notes à l’actualité littéraire, parfois à l’actualité politique et aux faits de société marquants ainsi qu’à quelques événements locaux dont je me souviens bien. Avec un réel recul, parfois une pointe d’ironie bien affûtée ou un trait narquois, il sait dénoncer les abus du pouvoir comme ceux des contestataires maniant trop facilement la violence pour la violence. Il envoie aussi quelques piques aux anciens soixante-huitards qui se sont habilement recyclés dans la vie politique notamment.
Plus généralement, il évoque la mort, la religion, un sujet qui revient sans cesse dans ses écrits même si c’est pour dénoncer son emprise sur la société, un sujet qui le rapproche de Julien Green à qui il reproche d’être trop asservi à ses croyances, la réussite sociale qui ne peut que le fuir, l’écriture, l’amour des livres qu’il considère comme des vivants, « Qu’un livre est une chose vivante, je l’entends déjà au premier degré. Ainsi lorsqu’il m’arrive d’en emporter avec moi, ma première occupation une fois sur place est de les déballer afin qu’ils respirent ». Il confie aussi à ses carnets ses difficultés financières, son amertume, les critiques qu’on lui adresse où, pire, qu’il devine dans son dos. « J’eusse craint que s’adjugeant une sorte de droit naturel à chapitrer, elles (mes connaissances) ne me serinent, par exemple, qu’être écrivain c’est un passe-temps, louable certes, édifiant peut-être, mais bon pour des retraités ou des rentiers, … »
Il pose ainsi l’éternel problème de la place, du rôle peut-être, du moyen d’existence certainement de l’écrivain dans la société. En ce qui le concerne, il ne fera jamais aucune concession, il ne marchandera jamais son talent, il n’écrira que ce qu’il considère comme de la littérature : ses carnets, ses notes, ses aphorismes, ses réflexions… Marginal peut-être mais intègre et talentueux sûrement !
Denis Billamaboz