Le 17 janvier dernier est sorti un livre magnifique, peut-être même indispensable en ce début d’année 2018, qui est pourtant passé totalement inaperçu : Le Journal de Marianne de Baptiste Chouët.
Depuis quelques années, et c’est sans doute là un signe des temps, la BD est l’une des formes d’expression culturelle les plus pertinentes quant à sa capacité à prendre à bras le corps les grands sujets du moment, et à réagir le plus rapidement aux événements politiques ou sociaux qui nous occupent, bref à tenir une place que la « littérature traditionnelle » déserte de plus en plus.
Nous savons que cette extension en « grand format » d’une pratique, finalement assez classique, de commentaire en images de l’actualité (une pratique bien établie dans la presse écrite…) donne rarement de grands résultats sur le plan artistique. C’est donc là que l’on a envie d’applaudir doublement la réussite que constitue ce Journal de Marianne, qui conjugue de manière improbable la légèreté joueuse des Cahiers d’Esther, par exemple, avec une réflexion plutôt profonde sur l’évolution de la société française, dont les principes républicains sont battus en brèche aussi bien par la remontée du sentiment religieux que par la débâcle intellectuelle et morale de la Politique.
S’appuyant sur un graphisme simple mais chaleureux (et souvent enchanteur…), qu’on situerait quelque part entre Plantu et Sattouf, et sur une construction ambitieuse, alternant planches au format « classique » et pages « griffonnées » – peut-être les plus belles, mais en tout cas les plus fortes du livre -, Baptiste Chouët, dont c’est la première BD mais qui réalise, nous dit-on, des illustrations pour la presse, nous livre en fait son journal personnel de citoyen français concerné par le chaos qui grandit dans notre pays aux prises avec le terrorisme islamiste, mais aussi avec la déréliction du leadership politique… Un journal qui fait très naturellement écho à nos propres interrogations, nos propres doutes et qui nous devient vite, logiquement, très intime : les quelques pages, sans pathos et sans excès, sur les attentats du 11 novembre 2015 nous touchent ainsi en plein cœur.
L’idée très amusante de Chouët, c’est d’imaginer notre Marianne sous les traits d’une jeune femme moderne, sexy (ah, cette bretelle qui n’arrête pas de tomber ! … en référence au fameux tableau de Delacroix représentant « la Liberté guidant le Peuple », même s’il est permis de tiquer sur l’assimilation République = Liberté), et se débattant finalement dans les mêmes difficultés existentielles et sentimentales que la Française moyenne des années 2010. Entourée de ses copains John (la Grande-Bretagne), Sam (les USA) et de ses amies Germania, Italia, Europe, etc. la voici qui réagit à chaud à tout ce qui dans l’actualité la touche : tout ce qui mine, tout ce qui menace, ou qui au contraire conforte l’image de la « République française », de la menace du Front National à la question de l’accueil des réfugiés, en passant par les déboires électoraux de Fillon et la montée en puissance de Macron. C’est souvent ingénieux, la plupart du temps très drôle, mais le plus important est sans doute que, une fois passée une introduction il est vrai un peu lourde sur la naissance de notre héroïne sous le règne de la Terreur, c’est une remarquable matérialisation des doutes que nous avons tous, et donc une saine source de réflexion sur l’avenir de notre pays et de nos institutions.
Et l’on a bien du mal à quitter notre si jolie héroïne au soir de l’élection présidentielle, qui la laisse sceptique devant la liesse générale. Dans un dernier geste, formidablement bien vu, la voilà qui dénude à nouveau ce sein révolutionnaire : le combat continue, plus urgent et plus nécessaire que jamais.
Nous attendons de pied ferme la suite de ses aventures…
Eric Debarnot
Baptiste Chouët – Le Journal de Marianne
Editions Marabout / Marabulles
Date de sortie : 17 janvier 2018