On ne s’explique pas l’indifférence autour de la discographie de Sean Carey. Et ce n’est pas « Hundred Acres », une oeuvre discrète mais diablement attachante, qui viendra changer les choses.
Il n’y a pas à dire, les impasses que l’on fait parfois sur certains artistes ont des raisons évidentes, parfois futiles et frelatées. S.Carey pour Sean Carey, on le classe dans la galaxie de Justin Vernon de Bon Iver. Paresseusement, parfois même sans avoir pris le temps d’écouter, on imagine au mieux le collaborateur en suiveur, pire en copieur sans le génie. Imaginez le nombre de grands disques qui ont crevé dans le malentendu et l’ignorance.
Et si nous évitions cet écueil à Hundred Acres, le troisième album du batteur de Bon Iver. Évacuons tout de suite des références à l’auteur de For Emma Forever Ago. La seule proximité que nous tolérerons ici avec son compagnon de groupe, c’est peut-être cette capacité à trousser des mélodies frémissantes et fragiles.
La musique de S.Carey a un évident rapport à une certaine forme d’évanescence, de dissolution de son être comme des particules de poussière qui flatteraient la lumière. Oscillant entre un Folk et des envies de hauteur, S.Carey évoque parfois Sufjan Stevens ou encore Martin Craft (M Craft). Si vous aimez les arrangements qui laissent la part belle au dévoiement, cet univers liquide est pour vous. Pourtant, à y regarder de prime abord, nous entrons en terres connues voire familières mais il se dégage assez vite un parfum d’étonnement, un charme inexplicable de ce que certains appelleraient des mélodies convenues sans surprise. La délicatesse absolue éloigne toujours les lourdauds et les éléphants dans un magasin de porcelaine.
S.Carey est un paysagiste, un aquarelliste qui traite avec finesse les multitudes d’images inscrites dans ses notes. Pourtant, ne limitons pas le natif d’Eau Claire à quelques crayonnés tendres et souples. La musique du monsieur conserve d’écoute en écoute une belle part d’énigme avec ses climats perturbés et ombrés. Il chante le temps qui passe doucement dans un monde fébrile et trépidant, la rivière qui coule dans la forêt, l’envie de se réapproprier la nature qui entoure, de réveiller sa chair dans le froid de la brise ou de disparaître dans le torrent.Ce qui est assez paradoxal avec les disques confortables, c’est que l’on se laisse piéger parfois par l’impression d’anecdotisme ou d’académisme. Pourtant il faudra savoir entendre les merveilles d’inventions trop discrètes et bien trop polies pour s’affirmer crâneusement. Les disques directement accessibles demandent à être plus creusés car ils tempèrent notre vigilance, ils endorment notre regard.
S.Carey, avec Hundred Acres, tend vers toujours plus de dépouillement mais être dénudé ne veut pas dire que l’on ne conserve pas pour autant un soupçon de pudeur. On ne pourra limiter ce disque à une énième épreuve de Folk crépusculaire. l’américain teinte parfois l’ensemble de détails électroniques où il est d’ailleurs à son meilleur dans un registre proche de Will Samson. Dix chansons brillantes sans être lacrymales, touchantes sans tomber dans le pathos qui devrait combler tout fan de Gem Club.
Et si on oubliait notre paresse face à une offre peut-être trop grande d’écoute pour donner sa chance à un artiste loin de l’étiquette étriquée dans laquelle on pourrait être tenté de l’enfermer. Le monsieur collabore peut-être à Bon Iver mais a son univers propre et singulier. Ne venez pas chercher ici d’immenses novations révolutionnaires, une conceptualisation d’une théorie. S.Carey fait peu mais le fait bien. Un artisan avec de bons outils, une forme de perpétuation d’une histoire commencée par les Torch Singers, poursuivie par Billie Holiday ou Paul Buchanan. Le conte de la vie d’une larme, les ailes d’un papillon qui se dressent contre la lumière.
Greg Bod
S.Carey – Hundred Acres
Sortie le 23 février 2018
Label : Jagjaguwar / PIAS