Frédéric Bagères, nouveau venu dans la bande dessinée, nous parle de son travail en tant que scénariste sur Le Vendangeur de Paname, une enquête burlesque dans le Paris des années 1910.
Passionné depuis longtemps par la bande dessinée, Frédéric Bagères est aussi un farceur né. « Retrouvé bébé entre un codex et un manuel de typographe d’une obscure bibliothèque, il est élevé par des moines copistes retirés du monde (…) », nous dit sa bio, et part ensuite « s’isoler dans une obscure abbaye de moines brasseurs… » et vit aujourd’hui « illégalement dans les locaux d’une vieille imprimerie d’anarchistes pamphlétaires (…) » L’homme est un peu comme le personnage de l’assassin dans Le Vendangeur de Paname : tenant à garder l’anonymat, affublé d’un pseudo qui ne ressemble pas à un pseudo, Bagères adore brouiller les pistes. À ceci près qu’il ne tue pas les gens mais cherche plutôt à les faire mourir de rire, tout en conciliant son goût pour l’écriture…
Il s’agit de ton premier scénario de BD. As-tu été contacté par Delcourt ou connaissais-tu David François ?
En fait, j’ai été contacté par David Chauvel [ndr : scénariste et directeur de collection chez Delcourt] que je connais un petit peu. Une fois de temps en temps, il fait lire ses scénarios à des lecteurs lambda, et je faisais partie de ces lecteurs pour avoir un retour sur ses projets. Et à une époque, je faisais du théâtre. Dans mon cours, on ne trouvait pas de pièce adéquate. Il y avait trop de garçons, pas assez de filles, et donc j’ai proposé à ma prof d’écrire une pièce. Juste avant de lui donner les textes, j’ai eu David au téléphone qui m’a dit : « je vais t’envoyer des trucs à lire, tu me diras ce que tu en penses », et j’ai sauté sur l’occasion : je lui ai proposé en retour de lire ma pièce de théâtre pour ne pas avoir l’air trop ridicule auprès de ma prof… En fait ça lui a plu et l’a même fait rire. Il m’a dit qu’il voulait m’en parler. Donc c’est lui qui est venu me voir par la suite avec un projet.
Du coup, comment s’est produit le rapprochement avec David François ?
En fait on a cherché un dessinateur qui pouvait coller à tout ça, et en parcourant le web, je l’ai proposé à David Chauvel, on en a parlé à David François qui était très emballé, mais n’était pas disponible avant deux ans à ce moment-là. Du coup comme on n’était pas pressés, on a dit banco, on a attendu et on a bien fait !
Ta biographie semble pour le moins atypique. Elevé par des moines copistes, puis en retraite dans une « obscure abbaye de moines brasseurs »… Aujourd’hui tu résides dans une « vieille imprimerie d’anarchistes pamphlétaires » à Montreuil… quel parcours ! Peux-tu nous en dire plus ?
En fait, ce ne sont que des boutades ! ça fait partie de la création d’un personnage, c’est aussi pour ça que j’ai un pseudo.
Frédéric Bagères est un pseudo, vraiment ?
Tout à fait… je suis un peu prudent avec ma vie privée
Tu as quand même un truc avec les moines, la religion ou les anars, non ?
Non pas du tout ! Et tu sais quoi ? J’en ai signé une deuxième et je pense que là encore je changerai ma bio. Je pense que j’aurai une bio différente à chaque fois !
Et tu avais déjà un goût pour la BD ?
Oui j’avais un vrai goût pour la BD, et j’en lis depuis tout petit. Je t’avoue que c’était un peu mon rêve en fait ! Je dessine un peu mais je n’ai pas du tout le niveau. Mon rêve de môme c’était de dessiner une BD. Mais je ne suis pas encore trop vieux, on verra… et avec du boulot, on peut y arriver, mais pour l’instant je n’en ai fait qu’une en tant que scénariste. En fait j’ai toujours écrit pour mon plaisir, comme je crois beaucoup de Français d’ailleurs. Après il faut aller jusqu’au bout… Mais j’ai toujours un rapport intime avec la lecture et l’écriture. Je me suis rendu compte que j’avais toujours écrit, même si je n’ai fini qu’une histoire et quelques nouvelles.
Et concernant Le Vendangeur de Paname, qu’est qui t’a donné l’idée de faire un polar parodique dans le Paris des années 1910 ?
Alors David Chauvel est venu me voir en me disant : « Est-ce que tu te sentirais capable d’écrire quelque chose de drôle avec un couple de héros un peu comme dans La Chèvre, avec une histoire très très dialoguée à la Audiard, dans un Paris de 1930. Et il faudrait qu’il y ait une enquête. » Et ce n’était pas du tout mon univers ni ma zone de confort, mais j’ai dit OK ! Parce que j’aime bien les challenges et qu’au pire il m’aurait dit que ça ne fonctionnait pas… j’aurais alors repris mon chemin de lecteur. Je me suis mis à faire des recherches et me suis rendu compte que le Paris de 1930 me plaisait moyen, donc du coup j’ai plutôt misé sur le début du siècle, qui m’intéressait un peu plus. Et puis je suis parti sur cette histoire d’enquête policière avec ces deux personnages.
On voit que tu as beaucoup emprunté à l’argot de l’époque, et effectivement on pense à Audiard aussi. On sent également qu’il y a eu une recherche documentaire fouillée sur « Paname ». Où as-tu puisé tes références ?
Internet, quelques livres… En fait, je me suis découvert une passion pour les recherches, ça a été vraiment une grosse découverte, je ne me doutais pas que j’adorerais faire ça, et j’ai appris tellement de choses, ça a été vraiment passionnant. C’était parfois compliqué, je me suis rendu compte aussi que j’aimais être besogneux alors que pendant une partie de ma vie j’étais un peu fainéant, et étrangement j’ai pris le goût du travail. De plus, quand on écrit, l’argot, c’est la Rolls du langage ! Il y a vraiment le plaisir de l’écriture. J’aurais aussi pu l’écrire en poésie, en faire des vers, mais là j’ai choisi l’argot de l’époque qui se prêtait plus à une BD d’humour…
Il y a quand même une citation qui m’a frappé, quand un des personnages dit : « L’enquête rame sévère. » Là on est quand même dans un langage plus actuel, non ?
Carrément ! Mais je suis parti du principe que cette BD était faite pour faire rire, qui était le postulat de départ. Ce n’est pas un polar même s’il y en a la trame, et je ne saurais pas écrire un vrai polar. Déjà, je n’en lis pas, et je sais que c’est un des styles les plus difficiles à écrire. Et comme c’est de l’humour et que je vais vraiment loin, je me suis permis effectivement quelques anachronismes dans le langage, mais si moi ça me fait rire, alors je me permets de le faire.
Comment avez-vous travaillé, David François et toi-même ? David a-t-il utilisé des images d’archives ?
David a un pote qui fait des recherches pour lui. Il travaille en atelier à Amiens je crois, et fait partie d’une petite communauté d’artistes où ils s’aident tous les uns les autres. Il a un copain qui adore aussi faire des recherches et lui a donné ses archives. David a été parfait pour ce projet. Il a pour velléité finale d’être un auteur complet. Il a déjà quelques idées en tête mais a l’envie de bien faire les choses. Pour l’instant, il sait déjà dessiner merveilleusement bien et il s’exerce désormais à faire le découpage le mieux possible pour pouvoir à terme raconter sa propre histoire. Mais d’abord il travaille avec des scénaristes pour parfaire son dessin, puis le découpage, et ensuite il fera sa propre histoire j’en suis persuadé. C’est aussi un besogneux qui apprend, qui apprend… Là en fait il est tombé sur mon texte, moi qui avant cela ne savais pas écrire pour la bande dessinée. Ce que j’avais écrit ressemblait plus à une pièce de théâtre qu’à une bande dessinée. Et en fait c’était parfait pour lui parce qu’il voulait s’entraîner à ça, il voulait faire lui-même son propre découpage, sa mise en scène. Il a donc pris complètement ce texte à bras le corps, l’a taillé à l’intérieur. Et c’est super parce que j’aurais été incapable de le faire. Et ensuite David Chauvel – qui, on a eu de la chance, est aussi scénariste – est intervenu en disant : moi je vous propose plutôt ce découpage-là… Placer cette case à tel endroit, montrer telle chose, cela a été très utile, c’est de cette manière que l’on a travaillé l’album.
Dans la BD, vous évoquez Frédéric et Camille Chartier, qui ont réellement existé, Le ministre Joseph Caillaux également. L’interrogatoire des Chartier, Pierre Caillaux, le fils du ministre qui devient inspecteur dans la police, tout cela est-il vrai ou n’est-ce que pure invention ?
Alors pour que ce soit un poil réaliste, il a fallu que je m’appuie sur des choses vraies. En fait, si le ministre Caillaux a vraiment existé, je ne crois pas qu’il ait eu un fils qui s’appelait Pierre ! Non la Bloseille n’a pas existé, mais il fallait le mettre dans un contexte. J’ai donc zigzagué entre des faits réels et historiques et du faux pour faire rire. A chaque fois que je sentais que je pouvais faire un truc un peu drôle, j’ai pris la liberté de tordre la réalité.
Tu n’as donc pas craint que les héritiers Chartier ou Caillaux te tombent sur le paletot (rires) ?
Ah ! Ah ! Ah ! Je n’y ai jamais pensé mais je touche du bois et j’espère que ça marchera quand même ! Mais comme c’est clairement de la parodie, il me semble que cela devrait passer !
Si tu devais refaire une histoire dans ce style mais plus actuelle, comment dépeindrais-tu Paris aujourd’hui ?
Ça serait forcément différent, c’est sûr… j’y mettrais plus de filles, il n’y a pas beaucoup de filles dans mon album… je suis un garçon, j’ai peur de mal écrire en faisant un personnage féminin. A l’époque malheureusement on ne donnait pas aux femmes la place qu’elles méritaient, donc c’était compliqué… mais je regrette un peu de ne pas en avoir mis plus et si c’était à refaire dans un Paris d’aujourd’hui, je me ferais aider d’une copine scénariste et on y inclurait des rôles féminins.
As-tu envie de prolonger l’expérience dans la BD et as-tu d’autres projets ?
Carrément ! Maintenant que j’ai mis le doigt dedans, j’ai bien l’intention de ne pas me rater ! J’ai signé un deuxième projet chez Delcourt avec Marie Voyelle au dessin et ce sera une histoire avec des personnages animaliers, où il y a aussi une enquête dans un zoo. Cela va sortir en juin. Et si je ne fais pas trop perdre d’argent à mon éditeur, je poursuivrai bien évidemment l’aventure.
Seul l’avenir le dira ! En tout cas bonne chance pour la suite, merci Frédéric !
Propos recueillis à Paris le 6 mars 2018 par Laurent Proudhon
Mon fils est parfait, à l’âge de 5 ans je l’emmenais dans notre librairie rue Balard à paris, mes trois enfants ont toujours été bercés avec les livres et les BD à travers moi…..bernard san