Touchante exploration du peuple amérindien à travers le bouleversant portrait d’un cowboy meurtri passionné de rodéo, The Rider est aussi le symbole d’une mythologie américaine mettant de côté ceux qui chutent.
Ce sincère portait nous dépeint le destin de Brady, un jeune cow-boy champion de rodéo accidenté de la route, vivant dans la réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud aux États-Unis, au milieu d’une famille bancale. Découverte à la Quinzaine des réalisateurs en 2015 avec le touchant Les Chansons que mes frères m’ont apprises, la réalisatrice sino-américaine Chloé Zhao continue de creuser un sillon particulier sur l’Amérique, à travers ce deuxième émouvant long métrage.
Son regard venu de l’extérieur permet de regarder l’Amérique avec un sens du décalage que l’on retrouve comme processus créatif dans cette fiction documentaire d’humains laissés à la marge de l’american dream. En l’occurrence la réalisatrice repose sa caméra dans les mêmes décors que son précèdent film pour apporter un coup de projecteur sur le milieu fermé du rodéo à travers le parcours de Brady membre de la tribu des Sioux des Brûlés, véritable dresseur de chevaux sauvages, s’appliquant à le débourrer et les dompter avant la vente. Un homme de la terre inconditionnel féru de rodéo, victime d’un grave accident au cerveau après une lourde chute et s’être fait piétiner le crâne par le cheval. Depuis il porte à vie une plaque de métal dans la tête et subit des dommages corrélatifs envers sa santé entraînant une recommandation des médecins un arrêt complet de monter à cheval et de participer à d’autres rodéos car il ne survivrait pas à un autre choc. Partant de cette réalité la cinéaste choisit de montrer la vie quotidienne de ce jeune homme qui joue son propre rôle (comme les membres de sa famille et ses proches), et le parcours psychologique d’une existence à repenser loin des rêves de champion auxquels il aspirait.
Fort de cette authenticité-là, Chloé Zaho n’oublie pas de créer du cinéma en nous offrant une mise en scène très contemplative aux allures de western élégiaque qui revisite les mythes du Far West. La cinéaste suit avec bienveillance cet être sans monture ni mère décédée trop tôt, subissant le regard d’un père accro aux machines à sous, à l’alcool et au « je » et responsable d’une sœur souffrant du syndrome d’Asperger. Tout le fragile récit quasi documentaire, tourne autour du point de vue de Brady sans espoir qui doit se reconstruire une place dans la société et le regard des autres. Une nouvelle vie complexe à appréhender entre l’enfermement mental et l’envie malgré tout de grands espaces et de nouveaux exploits de rodéo. S’appuyant sur ces conflits intérieurs, la caméra nous offre des moments très Ford où sans La chevauchée fantastique la metteuse en scène nous offre malgré tout de somptueuses ballades sauvages malickiennes en travelling où avec de magnifiques plans grand angle où l’espace s’ouvre à nouveau avec un horizon infini. Hors-champ et plaines, vue de l’intérieur la précision du regard de la réalisatrice accompagne les visites de Brady à un copain paralysé par un accident de rodéo également, et les moments très touchants de complicités avec sa sœur, comme des bulles d’aérations salutaires pour éviter de sombrer.
L’auteur s’appuie sur une narration lente pour mieux révéler l’intimité et la mélancolie de son personnage, obligé à une résilience pour continuer à avancer, qui passe par l’acceptation d’un travail de caissier, ou se faire un tatouage référence à sa passion ajoutant à cette mise en abîme une authenticité non feinte des désillusions et des envies d’espoirs devant soi. Brady se permet de « rêver » lors de fascinantes séances de dressages équestres filmées comme un lien télépathique ou le splendide ballet de gestes (malgré une main handicapée par certains manques de réactions nerveuses oubliées dans les méandres d’un cerveau abîmé) rejoint sa voix assurée face à des équins bravaches. Mais la jeunesse fougueuse laissera la place à la raison lors d’une dernière séquence émouvante de renoncement devant les siens venus le soutenir. Chloé Zaho profite également de cette histoire pour rendre hommage avec détails aux laissés pour compte et au peuple amérindien du Lakota. À travers une photographie somptueuse, la réalisatrice peint sur les plaines sublimées par les sensationnels couchers de soleil du Dakota du Sud une autre vision de la masculinité du cow-boy, loin de l’image d’un John Wayne ou d’un Gary Cooper, ici les cow-boys sont meurtris. Un hommage aimant au cœur de cette Amérique rocailleuse qui ne voit les étoiles que dans le ciel ou sur le drapeau. Venez découvrir avec bienveillance cette splendide chronique délicate à travers le destin brisé de Brady, The Rider. Sensoriel. Superbe. Vibrant.
Sébastien Boully
The Rider
Film américain réalisé par Chloé Zaho
Avec Brady Landreau, Tim Jandreau, Lilly Jandreau
Genre : Drame
Durée : 1h45m
Date de sortie : 28 mars 2018