Nouveau coup de maître de l’immense réalisateur Hirokazu Kore-eda, par le biais d’une affaire juridique plus complexe qu’on pourrait le penser. The Third murder, une palpitante plongée dans la complexité humaine, entre truth and lies…
Sombre drame judiciaire narrant le destin de Shigemori, jeune avocat réputé chargé de défendre Misumi, un récidiviste accusé de vol et d’assassinat, dont il avoue lui-même avoir commis ses crimes, malgré la peine capitale (toujours en vigueur au Japon), qui l’attend au bout du tunnel après ses aveux.
Après avoir magistralement puiser dans son expérience personnelle pour nous offrir des pépites cinématographiques telles que Nobody knows (2004), Still Walking (2008), Tel père, tel fils (2013) ou encore Après la tempête en 2016, Hirokazu Kore-eda change de registre avec ce nouveau projet The Third Murder. Mais pour autant, l’auteur change t-il l’essence et l’âme de son cinéma, dont l’acuité à travers ses chroniques bouleversantes de drames familiaux de la vie quotidienne japonaise ne cessent de nous épater ?
La sensationnelle séquence d’ouverture de nuit au bord de l’eau, détonne par rapport au pedigree du cinéaste ! Une surprenante scène d’assassinat d’un homme d’une rare violence, où se mêle sauvagerie de coups mortels sur la tête avant arrosage d’essence pour finir par immoler le corps du défunt par le feu. Un virage complet vers le film noir ? Une délicate musique au piano accompagnée de quelques notes sorties de cordes harmonieuses, orchestrées par le talentueux compositeur contemporain Ludovico Einaudi, viennent atténuer cette impression et annoncent une histoire plus nuancée que l’introduction abrupte pouvait nous faire envisager.
Dès que l’avocat Shigemori s’empare de l’affaire, le cinéaste assume les codes du film de procès mais à la place des policiers cette fois-ci c’est l’avocat qui va suivre son instinct pour se mettre à enquêter. Sa superbe mise en scène rigoureuse dépeint avec précision le travail d’un avocat et utilise une esthétique de polar en misant sur une magistrale photographie, où les contrastes entre ombres et lumières sont accentués dans un pertinent format en CinemaScope pour générer de la tension au récit. Ce choix d’image permet également de donner une ampleur fascinante à certaines séquences de parloirs notamment, en accentuant ainsi l’intensité des gros plans sur les visages et apportent grâce à d’élégants mouvements de caméra de plus en plus de complexité à l’histoire où la vérité et les mensonges (comme le visage de l’avocat et du présumé coupable) se reflètent et se superposent sur une même paroi. qui à tendance à s’effacer de plus en plus à mesure que l’intrigue en chausse-trappes se dévoile.
Hirokazu Kore-eda livre une narration limpide et directe où les rouages procéduriers l’intéressent moins que la passionnante plongée dans l’interrogation de la réelle culpabilité de Misumi, à mesure que des parcelles de vérités finissent par voir le jour et que les versions des faits changent sans arrêt. L’auteur profite de cette intrigue autour de trois personnages (le prisonnier, l’avocat, la fille du patron assassiné), pour faire vaciller nos certitudes où les leurres et les incompréhensions sont les façades des fragilités humaines si éloignées de la cruauté d’une machine judiciaire froide et implacable où le verdict n’est qu’une vérité. Mais où se situe la Vérité et la réalité des choses quand le jugement est rendu ? Le cinéaste excelle à nouveau pour ausculter avec délicatesse les relations complexes entre les individus, les générations et pour nous interpeller par rapport à notre conception de la justice, de la violence et de la mort. Ce judicieux film de procès s’avère un percutant plaidoyer intelligent et efficace contre la peine de mort et la remise en cause d’un expéditif système judiciaire imparfait, persistant à laisser des personnes en juger d’autres sans connaître la vérité…
À travers ce nouveau registre l’auteur enrichit sa palette d’exploration humaine par le biais d’une direction d’acteur impeccable où le remarquable face à face tendu entre l’impeccable Masaharu Fukuyama et l’intense Kôji Yakusho hante longtemps après la projection. Une nouvelle fiction cérébrale dense qui convoque Akira Kurosawa où l’on peut se référer à Rashomon (1950) ou Entre le Ciel et l’enfer (1963), ainsi qu’à La Règle du jeu (1939) de Jean Renoir et il rend également hommage au cinéma de David Fincher, Michael Curtiz ou autres Paul Thomas Anderson.
Venez confronter votre propre vérité existentielle et ébranler vos convictions les plus profondes à travers cette œuvre humaniste qui débouche de The Third Murder. Intime. Brillant. Mélancolique. Captivant.
Sébastien Boully