Parfois la beauté peut se suffire à elle-même, entre fragilité et ennui, c’est un peu ce que nous murmure les américains de The Low Anthem sur leur cinquième album, The Salt Doll Went to Measure the Depth of the Sea.
Credit photo : Tixza
Parce qu’on n’est pas cher payés chez BENZINE, je vous renvoie à ma chronique de The Lean Year pour vous dire tout le bien que je pense de ce nouveau disque de The Low Anthem. Ah, je vous imagine déjà en train de vous dire « Ouh lala, mais regarde-moi ce paresseux. Il se débarrasse à minima d’un disque pour s’intéresser à la prochaine sortie qui vient de s’ajouter à la pile branlante de CDs qu’il a en retard d’écoute, le bougre. » Bon ben, là, je vous arrête tout de suite, misérable critiqueur. La raison de cette introduction étrange dans mes propos, c’est qu’il faut bien dire que les thématiques sont diablement proches entre le nouveau projet de Rick Alverson et ce cinquième album des américains de Providence. Et na ! On y entend cette même douceur diaphane, cette même recherche d’un classicisme perturbé.
La beauté des disques faits de presque rien, de bric et de broc est précieuse. Pourtant, le prix mis dans la pochette ne doit même pas payer une heure avec le notaire de Johnny Hallyday, c’est dire…
La vérité est ailleurs sur The Salt Doll Went to Measure the Depth of the Sea, sans doute dans ce vieux piano fin de siècle presque désaccordé qui semble servir de fil conducteur. Il faudra aller chercher du sens à ces litanies comme des psaumes du côté du titre de l’ensemble, inspiré d’une légende bouddhiste. Vous savez, cette jeune poupée de sel qui part à la recherche d’elle-même pour découvrir qu’elle n’est qu’une minuscule goutte d’eau salée d’un immense océan.
The Low Anthem chante le minuscule, le microscopique dans le macroscopique. Il dit le rien et l’intime, il déforme la lumière à travers un prisme et rend visible ces dégradations poussiéreuses de l’air, ces pas grands choses. N’avez-vous jamais ressenti ces malaises doucereux face à ces longs plans séquences où l’on ne devine pas les visages mais où pourtant tout se lit, de la plus petite émotion au grand souffle qui vient ? Les américains mêlent plaisir et effroi à travers des comptines d’enfants malades.
« La poupée de sel demanda à la mer « Mais qui es-tu ?
La mer lui répondit « Je suis l’océan
Et la poupée de lui demander : « C’est quoi l’océan ?
C’est moi, c’est toi… »
On retrouve ce même échange, comme les ébats cachés et pudiques d’un couple entre Ben Knox Miller et Florence Grace Wallis, à l’image de ce que l’on aime chez The Lean Year.
Ces douze vignettes sont comme autant de rêves très courts ou encore ces états de conscience modifiée, ce petit instant juste avant de se lever où l’on est encore lové dans la chaleur des draps et du sommeil mais déjà présent au quotidien. Cette quiétude en faux-semblant est d’autant plus étrange quand on apprend qu’à la base du disque, il y a cet accident de la route dans lequel le groupe a été impliqué et qui aurait pu coûter la vie à leur chanteur. Car même si on enlève délicatement le coton de ces douze titres, on ne perçoit pas vraiment de menace dans ces entrelacs, Peut-être parfois une neutralité songeuse, quelques points de suspension qui laissent poindre une interrogation.
La musique de The Low Anthem craque, grince délicieusement comme un pantin désarticulé, on fraternise là avec le spectre de Mark Linkous, ici avec une trompette étouffée.On navigue dans les eaux premières, dans la matrice universelle à travers des harmonies liquides. The Low Anthem est ici plus proche de Boards Of Canada période Geogaddi que d’un énième disque de Folk.
Le groupe ose parfois l’abstraction, ce qui est assez rare dans la Pop d’aujourd’hui et transporte sa musique vers une forme d’entité crépusculaire et complexe entre un Trip-Hop livide et une folktronica à la Tuung.
La poupée de sel lui répond : » Je ne comprends pas mais j’aimerai tant, comment puis-je faire ? «
« La mer la regarde paisiblement : Touche moi »
Il faudra grandement se méfier de la simplicité apparente des premiers titres car au fur et à mesure qu’avance The Salt Doll Went to Measure the Depth of the Sea, le propos se fait toujours plus chimérique et ce d’une graduelle subtilité. Pénétrer dans ce disque, c’est un peu comme monter sans fin le long d’un immense escalier. Ces escaliers dans les phares, quand l’arrivée au sommet est la récompense après un calvaire. C’est aussi comme la réponse que l’on attend impatiemment, la résolution d’une intrigue. Il faudra se méfier de cette douceur qui masque mal toute l’ambition cachée dans ces timides structures.
» Alors timidement la poupée de sel glisse son pied dans l’eau, une étrange impression la saisit comme quelque chose qui commencerait à se révéler.
Son regard glisse lentement le long de son corps et soudain elle comprend, son pied a disparu, à la surface de l’eau, une poussière translucide s’estompe déjà. »
The Low Anthem, malgré le calme, n’a que faire d’être aimable, son propos est ailleurs. Le groupe ne cherche pas à nous apprivoiser ou à être empathique, sa volonté est autre. Pour être soi, il faut savoir aller à l’essentiel, Pour être soi, il faut savoir se perdre. Il faut savoir accepter de lâcher prise et de perdre de vue une volonté narrative ou illustrative. Tendre vers toujours plus d’allégorie et d’absence à soi.
The Salt Doll Went to Measure the Depth of the Sea est donc tout sauf une poignée de chansons lumineuses à la transparence bienveillante mais plus une certaine idée de l’expression de la morosité contrariée. C’est John Cage qui disait « Quand un bruit vous ennuie, écoutez-le« . Il avait tellement raison car c’est dans ce tracas passager que se terre la plus vraie des expériences. Celle d’une rencontre avec soi à travers les mots, les notes d’un autre.
« Que m’arrive-t-il ? » Supplie la poupée de sel
Tu commences enfin à comprendre que toi et moi ne faisons qu’un » lui répond la mer. »
Greg Bod
The Low Anthem – The Salt Doll Went to Measure the Depth of the Sea
Label : Joyful Noise Recordings / Differ-ant
Date de sortie : le 23 février 2018