Le Ralph Azham de Lewis Trondheim est de retour et il n’est pas content. Du coup, cette série Heroic fantasy moyenâgeuse et irrégulière démarrée en 2011 décolle enfin !
Voilà déjà 7 ans que nous entretenons une relation ambiguë avec Ralph Azham, certainement la série la moins convaincante de l’œuvre désormais non négligeable de Lewis Trondheim… Une série qui semble lui être paradoxalement chère puisqu’on en est déjà avec l’Engrenage au onzième tome de cette saga d’heroic fantasy vaguement humoristique, qu’on aura qualifiée au gré de son humeur de « neurasthénique », « répétitive », « stakhanoviste », voire même « hébétée »… mais qu’on continue à lire avec une fidélité un peu inexplicable…
Rappelons le principe : voici le récit a priori interminable des aventures tour à tour familiales, guerrières et politiques d’un héros aux super-pouvoirs paradoxaux au sein d’un univers d’heroic fantasy classiquement moyenâgeux, qui se trouvera contre son gré hissé au pouvoir quasi suprême. Comme dans le Donjon mais en bien moins réussi, on passe sans vergogne de l’aventure la plus classique à la réflexion sur l’inanité du pouvoir, qu’il soit politique ou militaire, de la plus grande confusion morale au désespoir existentiel aigu. Le tout pimenté par le paradoxe du dessin moderne et faussement naïf de Trondheim en complet décalage avec la violence sanglante, parfois même épique, du récit, et par de légères pointes d’humour à froid.
Il faut maintenant admettre que, même s’il nous a depuis longtemps perdus dans le dédale d’une fiction proliférante et souffrant finalement d’une absence de « but » (« un peu comme dans la « vraie vie », non ? » nous souffleront les défenseurs de la série…), Trondheim nous captive à nouveau avec cet Engrenage qui s’impose comme l’un des meilleurs épisodes de la série : la relation ambiguë entre Ralph et la fascinante Tilda Pönns retrouve par instant le charme du romantisme embarrassé de Lapinot, alors que la liquidation brutale des religieux ennemis du Superintendant fait bel et bien écho à certaines scènes équivalentes de Game of Thrones. Mais ce sont les dernières pages, purement tragiques, justifiant le titre de l’album et réduisant en poussière les victoires passées de Ralph, qui gagnent vraiment notre cœur : il y a dans cette noirceur d’une défaite, inattendue mais inévitable, la promesse d’une fin terrible justifiant enfin les hauts et les bas d’une saga qu’on aimerait voir parvenir à la grandeur…
Eric Debarnot