Damon McMahon alias Amen Dunes signe avec « Freedom » son meilleur album à ce jour, un bijou de pop déviante.
Credit photo : Michael Schmelling
Amen Dunes, le projet de l’américain Damon McMahon, on peut le dire sans problème et sans honte, on l’avait suivi d’assez loin, d’une oreille distraite mais polie. Sans doute pas la rencontre entre le bon moment et le bon endroit car ce Freedom, son cinquième album n’est pas bien différent des disques passés. Pourtant, on ne résiste pas longtemps à son étrangeté addictive.
Il y a d’abord cette voix toujours au bord du précipice, sur le point de dérailler qui évoquera parfois le Jordan Geiger d’Hospital Ships. Si ce n’est que chez l’américain, la Pop n’est pas un prétexte à une élucubration surréaliste, à un chemin de traverse vers un art brut. Le monsieur a le goût de la déviance et de la transgression mais ses lignes mélodiques restent dans un confort habile. Blue Rose, en entrée, n’est pas si éloigné des premiers Simple Minds période New Gold Dream. Toutefois, c’est surtout à la décennie suivante que l’on pensera et plus particulièrement la discographie solo de Ian Brown. On pensera particulièrement à ce joyau Pop un peu oublié de 2001, Music Of The Spheres pour cette même envie à faire danser et à désaxer les angles.
Freedom est un disque long en bouche, parfois énigmatique et toujours mystérieux. Il assume un dandysme qui semble vouloir être une réponse américaine à la perfide Albion de Baxter Dury. Mais l’américain est assez futé pour habiller ses lignes mélodiques de boucles qui doivent autant au Krautrock qu’à un psychédélisme 2.0. Il navigue entre l’obscurité du Velvet Underground et les grands espaces de Neil Young.
Il chante tout au long de ce disque paradoxal les craintes, le doute et la peur de la perte. Rien de surprenant à découvrir que durant la phase de composition de Freedom, Damon McMahon apprend la maladie de sa mère, un cancer en phase terminale. On entend ici le combat d’un être face à l’inéluctable, la douleur qui s’installe et la révolte qui se dit.
Quelle est la principale différence entre un chanteur et un interprète ? Sans doute faut-il aller chercher quelques éléments de réponse bien au-delà des seules qualités vocales, de techniques de chant mais plus dans cette capacité à habiter des mots, à en faire vivre le sens, à cracher quand on pourrait murmurer, à assécher quand on pourrait tomber dans le pathos, à montrer le défaut, à chevroter d’émotion. Assurément Damon McMahon n’est pas un grand chanteur mais c’est un sacré interprète.
Albert Camus disait dans Le Mythe de Sisyphe : “Créer, c’est aussi donner une forme à son destin.”
C’est un peu cela que tente de dresser Damon McMahon, donner du sens à l’indicible comme pour le mettre à distance, l’éloigner. Rendre la perte inoffensive, ne plus être un esprit vide et tourmenté par le deuil qui viendra.
Sans doute pourrait-on ranger Amen Dunes aux côtés des Talking Heads de David Byrne pour cette même absence de choix entre solarité et profondeur, ce sens d’un absurde et d’un paradoxe entre le désespoir qui affleure et le combat que l’on sent en soi.
Freedom est une oeuvre singulière et classique, une contradiction de chaque instant, un acte de meurtrissure et de retour à la vie.
Greg Bod
Amen Dunes – Freedom
Label : Sacred Bones Records / Differ-Ant
Sortie le 30 mars 2018