Même si le temps a passé et a érodé les aspérités d’un groupe qui joue aujourd’hui avant tout sur la qualité « professionnelle », les concerts d’Arcade Fire restent toujours et encore de grands et beaux moments de musique live.
Pas vraiment enthousiasmant, l’idée de voir Arcade Fire jouer dans un lieu aussi immense et sans âme que Bercy, pardon l’AccorHotels Arena, et ce d’autant qu’un certain consensus semble se dessiner à propos de la tournée « Everything Now » autour d’un vague sentiment de « C’était mieux avant ! ». Bien sûr, il était inévitable que l’incroyable efficacité scénique d’Arcade Fire, qui en a fait pendant plus de 10 ans l’une des plus extraordinaires expériences live qui aient jamais été, finissent par s’émousser. En plus, j’ai bêtement loupé l’heure de la mise en vente des places et les billets de fosse m’ont échappé. Me voici donc condamné à une place assise en gradins, chose qui me consterne toujours.
19h45 : Après quelques propos échangés avec l’ami Xavier, histoire de faire le « bilan concerts » des dernières semaines et de programmer nos prochaines sorties, me voilà m’asseyant sagement à la place que l’ouvreuse m’indique au moment même où Preservation Hall Jazz Band attaque son set.
La scène est installée au plein centre de la fosse, et est surplombée par de grands écrans, ce qui assure une vision correcte un peu partout dans la salle. L’inconvénient de cette disposition est que les musiciens tournent forcément le dos à une partie du public. Même si je ne suis pas mal placé du tout, je ne verrai donc Preservation Hall Jazz Band que de côté, sans m’en sentir particulièrement frustré d’ailleurs puisque c’est – quelle surprise – du jazz ! Et que je n’aime pas, je n’aime vraiment pas le jazz… désolé ! Bon, je suis capable de reconnaître que tout cela est cuivré, dynamique, même un peu festif en étant généreux. La musique est principalement instrumentale, avec quelques parties vocales çà et là, et personnellement je me fais terriblement suer : je ne vois aucune originalité là-dedans, juste un enchaînement de stéréotypes jazz Nouvelle-Orléans, entre big band, déchirures un peu free, et coloration funky (bien venue). Et le pire est à venir avec une reprise très laide, presque offensante, du refrain (et seulement du refrain) de Oh you Pretty Things : le genre d’hommage dont Bowie se serait bien passé. Et la torture dure une heure (1 heure !)… La soirée commence décidément bien mal…
21h15 : Même dans une salle de plus de 15.000 places, Arcade Fire n’a – heureusement – pas perdu ses bonnes habitudes : alors que résonne dans la sono une horrible version de la 5ème symphonie de Beethoven, le groupe arrive en traversant le public.
L’Accor Arena n’est pas complètement remplie, comme quoi Arcade Fire ne joue pas encore tout-à-fait dans la cour des grands, mais ce n’est pas la honte de jouer dans une salle seulement à demi-pleine comme cela fut apparemment le cas lors de certaines dates US du début de la tournée, l’année dernière. Le public est agréablement mélangé, tous les âges sont là, des enfants – eh oui ! – à des sexagénaires, bien entendu, ce qui montre que malgré tout, Arcade Fire a réussi à ratisser large avec son dernier album plus commercial…
La scène carrée centrale est maintenant entourée de cordes, à la manière d’un ring de boxe. Les (faux) logos « commerciaux » de « Everything Now » défilent ou tournoient sur les panneaux lumineux, bref le « concept » est décliné comme il se doit. Nous avons droit aussi à d’infâmes pubs stridentes qui doivent être du second degré, nous conviant à aller acheter des souvenirs (« notre mémoire n’étant plus ce qu’elle était ») ou à nous déplacer autour du ring ! Deux grosses boules à facettes évoquent la période « Reflektor« …
21h15 : Même dans une salle de plus de 15.000 places, Arcade Fire n’a – heureusement – pas perdu ses bonnes habitudes : alors que résonne dans la sono une horrible version de la 5ème symphonie de Beethoven, le groupe arrive en traversant le public (vous me direz, vu le placement central du « ring », il était sans doute difficile de faire autrement !). L’ambiance imite celle d’un match de boxe, voire de catch, aux US, chaque musicien étant présenté à son tour sur les écrans vidéo au-dessus de la scène, qui retransmettent dans un style CNN cette longue entrée en scène… Mais ne soyons pas cyniques, tout cela fonctionne au-delà du second degré, et fait formidablement monter la pression, pour lancer le set sur le nouveau crowd pleaser qu’est Everything Now… Un morceau quand même un peu niais, mais qui a au moins l’avantage de faire taper dans les mains et de donner la banane !
Ce soir, Arcade Fire compte dix personnes sur scène, et nous sommes heureux de revoir la petite Sarah Neufeld et son violon magique, elle qui ne fait plus officiellement partie du groupe. Il y a aussi le musicien camerounais Patrick Bebey, dont le riff à la flûte pygmée est la signature de Everything Now, et qui réapparaîtra pour le grand finale de la soirée. Peu de changements en fait dans la « mise en scène » d’Arcade Fire : toujours ces échanges d’instruments permanents, toujours Tim Kingsbury en génial trublion chargé de créer du chaos sur scène, toujours la radieuse Régine en icône disco. Et toujours Win en grand géant vaguement torturé, même si l’empâtement guette avec les années qui passent.
Arcade Fire s’est équipé de matériel « state of the Art » pour venir concurrencer U2 sur son terrain !
Il faut maintenant louer la conception de la scène, avec son plateau tournant central, et ses différentes estrades, qui permettent aux musiciens de changer de position et de venir autant que faire se peut au contact de leur public. Les images vidéo et le light show sont tous simplement superbes, et permettent de relayer à 15.000 personnes les petites subtilités et les moments d’émotion qui se perdraient évidemment dans un tel contexte. Bref, Arcade Fire s’est équipé de matériel « state of the Art » pour venir concurrencer U2 sur son terrain ! (Il faut dire aussi que les places n’étaient pas données ce soir…). Grosse déception par contre du côté du son, qui, même s’il est meilleur qu’à l’époque déprimante ayant précédé la réfection de la salle, constituera la grande faiblesse du set ce soir : pas tout-à-fait assez fort, manquant grandement de dynamique, avec les voix régulièrement sacrifiées derrière des effets « in your face » faciles, ce son anémique et brouillon nous privera sans doute de certains moments d’extase.
En parlant d’extase… Arcade Fire enchaîne avec Rebellion, afin de rassurer les fans de la première heure : « Funeral » reste le pilier fondateur de la musique du groupe, en dépit des récentes explorations disco ou électro, et nous aurons droit à nos hymnes tant attendus. On peut trouver que c’est néanmoins un peu trop tôt pour dégoupiller la plus belle grenade du groupe, mais au moins, tout le monde dans les gradins est debout et chante en chœur. Debout, ouf ! Le pire est évité et, à l’exception de quelques spectateurs égarés restant assis et se bouchant les oreilles (Mon Dieu ! Mais pourquoi ?), Bercy restera vaillamment debout pendant la quasi-totalité des deux heures et quart du set.
Arcade Fire prouve qu’il n’a pas complètement perdu sa hargne au fur et à mesure de l’inflation du succès et des egos.
La setlist de ce soir balaie toutes les périodes du groupe, mêlant non sans audace le lyrisme festif des origines (No Cars Go réjouit évidemment tout le monde !) avec la dance music conceptuelle plus récente (Electric Blue, quand même assez ennuyeux, il faut bien l’avouer…), en passant par le pessimisme angoissé de « Neon Bible » : après le décollage radieux de Put Your Money On Me, une chanson que j’attendais tout particulièrement, ce sera d’ailleurs l’enchaînement down temp de Neon Bible et de My Body is a Cage, rehaussé par des lumières superbes matérialisant la cage autour de la scène désormais débarrassée de ses cordes, qui constituera l’un des plus beaux moments de la soirée… Et la preuve que derrière le gigantisme d’une mise en scène grand public, il reste quand même quelque part un cœur qui bat encore.
Si le passage par la banlieue (The Suburbs, bof bof…) n’est pas mémorable, et ce d’autant que Ready To Start n’a plus la vigueur des premiers jours, ainsi planté en milieu de set, Arcade Fire va se rattraper avec un finale intense, de toute beauté. Reflektor d’abord, puis Afterlife, et surtout un Creature Comfort épique – avec un son qui, sans être meilleur, devient enfin fort comme on aurait aimé qu’il le soit toute la soirée : Arcade Fire prouve qu’il n’a pas complètement perdu sa hargne au fur et à mesure de l’inflation du succès et des egos.
« We’re the bones under your feet / The white lie of American prosperity/ We wanna dance but we can’t feel the beat / I’m a liar, don’t doubt my sincerity. / Just make it painless / Creature comfort, make it painless »
Après ça, Power Out est sans doute un peu trop évident, peut-être usé par toutes ces années de tournées.
Heureusement, le rappel sera complètement à la hauteur de la réputation du groupe : une superbe version de l’excellent We Don’t Deserve Love (zut, mes voisins se rassoient… Tant pis je reste debout !), un hommage festif à Francis Bebey avec encore le fiston Patrick à la flûte pygmée, qui débouche logiquement sur Everything Now (continued), avant que l’inévitable, mais inusable lui, Wake Up ne vienne réconcilier tout le monde et rappeler qu’il y a dix ans, Arcade Fire planait quand même à des hauteurs autrement plus vertigineuses. Les jazzmen de la Nouvelle Orléans ont rejoint Arcade Fire sur scène, et l’ambiance est clairement à la fête générale, ce qui nous va très bien pour clôturer la soirée.
Tout ce petit monde retraversera la foule en jouant – percussions et cuivres – avant de, paraît-il, terminer le set sur le parvis (je ne sais pas, je ne suis pas parvenu à y arriver à temps…), comme au « bon vieux temps »…
Bref, inutile de jouer les blasés et les nostalgiques : même si le temps a passé et a, logiquement, érodé les aspérités d’un groupe qui joue aujourd’hui avant tout la carte du grand spectacle, la qualité « professionnelle » de ce spectacle, ainsi que la joie toujours aussi visible que les musiciens prennent à interpréter ensemble leurs plus belles chansons, font toujours d’un concert d’Arcade Fire une belle occasion de bonheur. Ce n’est pas si fréquent…
Eric Debarnot
Les musiciens d’Arcade Fire sur scène :
Régine Chassagne – lead and backing vocals, accordion, drums, percussion, keyboards
Richard Reed Parry – guitar, bass guitar, backing vocals
Win Butler – lead and backing vocals, guitar, piano, keyboards, bass guitar
Tim Kingsbury – bass guitar, guitar, double bass, keyboards, backing vocals
William Butler – synthesizers, bass guitar, guitar, percussion, backing vocals
Jeremy Gara – drums, percussion, guitar, keyboards
Sarah Neufeld – violin, piano, keyboards, backing vocals
Tiwill Duprate – percussion
Stuart Bogie – saxophone, clarinet, flute, keyboards
La setlist du concert d’Arcade Fire :
Tape : A Fifth of Beethoven (Walter Murphy song)
Tape : Everything Now (Continued) (instrumental version with boxing intro)
Everything Now (with Patrick Bebey) (Everything Now – 2017)
Rebellion (Lies) (Funeral – 2004)
Here Comes the Night Time (with Patrick Bebey) (Haitian dancers on stage) (Reflektor – 2013)
Haïti (with Patrick Bebey) (Haitian dancers on stage) (Funeral – 2004)
No Cars Go (Arcade Fire – 2003)
Electric Blue (Everything Now – 2017)
Put Your Money on Me (Everything Now – 2017)
Neon Bible (Neon Bible – 2007)
My Body Is a Cage (Neon Bible – 2007)
Neighborhood #1 (Tunnels) (Funeral – 2004)
The Suburbs (The Suburbs – 2010)
The Suburbs (Continued) (The Suburbs – 2010)
Ready to Start (Damien Taylor Remix outro) (The Suburbs – 2010)
Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) (The Suburbs – 2010)
Reflektor (Reflektor – 2013)
Afterlife (Reflektor – 2013)
Creature Comfort (Everything Now – 2017)
Neighborhood #3 (Power Out) (with ‘I Give You Power’ snippet) (Funeral – 2004)
Encore:
We Don’t Deserve Love (Everything Now – 2017)
The Coffee Cola Song (Francis Bebey cover) (with Patrick Bebey)
Everything Now (Continued) (with Patrick Bebey) (Also with Preservation Hall Jazz Band) (Everything Now – 2017)
Wake Up (with Patrick Bebey) (Also with Preservation Hall Jazz Band. Followed by reprise of chorus played during slow exit) (Funeral – 2004)