En 1969 et en quelques mois, le Zeppelin balance ses deux premiers albums et modèle à la force du médiator une nouvelle forme de Rock’n’Roll. L’allumette Led Zeppelin vient incendier le Rock, cramant les quelques fleurs fanées restantes du mouvement Hippie, ne laissant dans ce tas de cendres que la substantifique moelle Rock, la carcasse fumante et indestructible du Hard Rock.
A peine quelques mois après le crash assourdissant du Zeppelin phallique s’écrasant violemment dans le minou encore étroit de l’industrie du disque, les quatre de l’Apocalypse décident en pleine tournée Ricaine de remettre le couvert.C’est en explosant tout les soirs les oreilles de leurs cousins mâcheurs de chewing-gum, en réinterprétant leur premier album sur des scènes tremblantes et des publics médusés, violant leurs propres morceaux et enfantant ces gamins difformes, ces gigs monstrueux, interminables, géniaux (Si bien que certains groupes refuseront de monter sur scène avec eux pour éviter de prendre la honte de leur vie) que va se dessiner un pan immense de l’histoire du Rock’n’Roll.
Les petits Britishs scotchent les cowboys à leurs sièges durant une tournée triomphale aux quatre coins des Etats-Unis.
C’est dans les bus, les avions, entre deux spliffs de beuh et quelques caisses de Jack Da’ que le quatuor fabrique ce deuxième album qui sera sobrement intitulé II.
Les enregistrements se font « on the road » et s’étalent sur deux continents (Londres, NewYork, Memphis, Los Angeles et Vancouver) au rythme soutenu de concerts interminables et de gueules de bois supersoniques.
Dans cette virée musicale au pays de l’Oncle Sam, Page qui prendra en charge la production de l’album, fait appel à l’ingé’ son visionnaire Eddy Kramer pour lui filer un coup de main.
Kramer (ingé’son sur le Electric Ladyland d‘Hendrix notamment) est le grattoir sur lequel l’allumette Jimmy Page va venir se frotter et prendre feu instantanément.
Page maltraite sa gratte, lui fait pousser des gémissements inédits: Couinements, échos, sirènes, overdubs étourdissants, stéréo perturbante.
Page ne forme plus qu’un avec son instrument, il en extrait la « substantifique moelle », il JimiHendrixe son jeu et pose les bases tapageuses du Hard Rock.
C’est avec un riff gravé dans le marbre du Rock’n’Roll que s’ouvre la première page du « Brown Bomber » : Whole Lotta Love.
Rock vénéneux et révolutionnaire où Page prend possession de ses jouets et mixe son Blues avec l’innocence et l’originalité du débutant. Plant pose sa voix aiguë sur ce riff de bonhomme et lui fais pousser des nichons, brouillant encore un peu plus les pistes. Bonham finit de déstructurer ce Blues novateur en le jouant à contre-temps perturbant la compréhension, en première lecture, d’un morceau d’une simplicité « ternaire » classique pour en faire l’ovni musical qui hante encore les oreilles des Rockeurs de tous âges.
Lemon Song où la rythmique zeppelinienne prend possession du morceau.
Jones semble discuter avec sa basse en tête-à-tête avec le Blues des ancêtres, tandis que Bonham balance des breaks interminables sur les incantations du vaudou blanc Plant.
Tout s’emballe.
HeartBreaker balance un riff monstrueux et dessine sous un Rock’n’Roll « classique » une modernité tétanisante.
Les morceaux se suivent et ne débandent jamais. Le Zeppelin est au sommet.
Page est en feu, Jones et Bonham redessinent la rythmique Rock pour des siècles tandis que Robert Plant aiguise sa plume empruntant à Tolkien, à l’imagerie chevaleresque et moyenâgeuse.
L’album se termine sur Bring it on home de Willie Dixon, morceau tentaculaire traversant les styles, les âges et ton épine dorsale. Led Zep comme un doigt tendu bien haut revisite le Blues, la Folk, le Rock, la Country en 4:20 minutes, laissant aux autres groupes les yeux pour pleurer.
Led Zeppelin chose insensée fait mieux que le premier album.
En fouinant comme des gamins curieux dans ce Rock en mouvement, dans ce Blues enraciné et dans des drogues inconnus, nos quatre apôtres chevelus ont trouvé au détour d’un croisement, un chemin non indiqué sur les cartes du Rock.
Un passage étroit, à la végétation dense, étouffante.
Un sentier. Un sentier à défricher inconnu et dangereux que les mômes ont choisis avec l’insouciance de ceux qui sont sûrs de leur talent.
Un sentier plutôt que ces voies dégagées, rassurantes, que tout le monde emprunte avec assurance.
Une promenade en terre inconnue avec l’espoir tout au bout.
L’espoir de faire d’une possible impasse, une autoroute à trois voies.
Renaud ZBN