La série dont tout le monde parle, et que tout le monde fredonne sans vraiment savoir d’où vient le thème principal, aurait pu être un vrai bloc d’action contestataire et jouissif sur la société économique actuelle en Espagne comme en Europe. Elle aurait pu, oui…
A l’heure d’écrire ces lignes, j’apprends que Maître Gim’s envisage de faire un remix de la chanson révolutionnaire anti-fasciste italienne Bella Ciao avec les autres grands artistes Vitaa, Dadju et Slimane. Outre l’incongruité et l’horreur de la démarche, elle confirme l’énorme écho médiatique qu’a reçu la dernière série extrêmement populaire de Netflix. Pour ceux qui vivraient encore dans un monde parallèle où le géant du VOD n’existerait toujours pas, rappelons les (mé)faits : Noël dernier, est diffusée la première partie d’une série espagnole à succès, La Casa de Papel, du nom de la Fabrique de la Monnaie à Madrid, qui sert de lieu à un spectaculaire braquage, avec otages, billets à fabriquer comme butin, flics aux trousses et caetera.
La série démarre façon Ocean’s Eleven à la sauce sangria, à grands coups de clins d’oeil tarantinesques, de caméra survoltée et d’effets maousse costaud qui, à défaut d’être toujours finauds, font au moins le job : c’est dynamique, efficace, et gentiment subversif. D’ailleurs, c’est bien là l’intérêt réel de cet énième scénario de hold-up. Les braqueurs seraient la métaphore d’une rébellion sociale de grande ampleur, des Robins des Bois madrilènes qui ne léseraient personne en fabriquant l’ultime pouvoir de tout consommateur indépendant : sa propre monnaie. Fuck l’Etat, vive le peuple libre – et riche.
« Ce qui aurait donc pu être une série contestataire et brûlot politique sur la manière de gérer le collectif dans la société européenne, devient un grossier film d’action »
Sauf que, comme nombre d’ados qui se la jouent « anti-tout » le temps de leur scolarité, La casa de papel ne va pas plus loin que le bout de son fusil d’assaut sur sa partie 2, récemment diffusée sur la plateforme, et bénéficiant d’un bouche-à-oreille (et d’une publicité) presque suspect tellement il est énorme. Visuellement, les scénaristes ne savent plus trop comment prolonger ce braquage inédit dont le but est de s’inscrire dans la durée pour arriver à son dessein politique absolu : 2.4 milliards d’euros pour la bande de malfrats (tous anciens bannis de la société et marginalisés – tu comprends le message) et la sphère politico-médiatique et financière à genoux, décrédibilisée. Et de fait, dans l’impossibilité de tenir leur récit de manière serrée et efficace, ils s’autorisent des flash-back anecdotiques, des bluettes sans intérêt entre personnages, et même des incohérences qui fleurent bon l’abandon de professionnalisme.
Ce qui aurait donc pu être une série contestataire et brûlot politique sur la manière de gérer le collectif dans la société européenne, devient un grossier film d’action tout en longueurs ou morceaux clippés, dont ce chant emblématique Bella Ciao à l’histoire incroyable, qui devient banalement, pour plein de téléspectateurs, la bande-son d’un thriller trop cool et stylé, qu’on chante dans la rue sur son Iphone et qui sera probablement dans les charts de streaming quand les faux rappeurs français du moment auront fini leur mixage… Les anti-fascistes italiens doivent se retourner dans leurs fosses communes, Netflix se frotter les mains, et tout le reste trouver ça « chan-mé », une bière à la main et l’autre sur sa télécommande.
Jean-françois Lahorgue
La casa de papel, série espagnole de Alex Pina
2 parties : 1×13 épisodes et 1×12 épisodes
Diffusion : Antena 3 (Esp.) et Netflix (2017)
Parfait!