On s’agite beaucoup sur les réseaux sociaux autour du nouveau disque des Arctic Monkeys. Mais pourquoi tant de haine pour un simple disque de Pop cloué au pilori avant même qu’il ait été digéré ?
© Zackery Michael
Prenez cette critique pour ce qu’elle est, quelque chose qui ressemblerait à peu de choses près à un petit coup de gueule ou une tentative patiente de réponse à cette ère de l’immédiateté. De nos jours, le temps est à la polémique pour tout et pour rien sans même parfois se donner le temps de prendre du recul, de digérer et d’intégrer la proposition artistique qui nous est faîte. Et qu’on y aille du raccourci, et qu’on y aille des mêmes phrases éculées, que l’on monte au pinacle tel artiste pour mieux le jeter aux chiens ensuite. Créer, ce n’est pas rentrer dans une arène.
Qu’il est étrange de voir l’attrait pour tel musicien réduire comme peau de chagrin plus le succès grandit. On oublie par exemple, à défaut de se renier, que l’on a pu aimer un jour Coldplay par exemple. En ces ères des réseaux sociaux, on ne juge plus de la qualité d’un disque mais on se fait un avis par anticipation sur sa seule réputation annoncée. On a déjà un avis sur un disque à peine annoncé, pas encore sorti et que l’on n’écoutera peut-être même pas. Étrange société qui ne fait pas toujours bien la différence entre critique et insulte… Soit on dézingue allègrement, soit on surestime allègrement. Et puis, on peut aussi s’interroger sur ces artistes qui jugent les critiques émises sur leurs disques, faut-il leur rappeler les règles du jeu ? Quand on partage son travail, aussi personnel soit-il, il devient alors public.
Frank Zappa disait en 1992 : « Les chroniqueurs de rock sont des gens incapables d’écrire, interrogeant des gens incapables de parler, pour des gens incapables de lire ».
On connaissait son goût pour les bonnes formules mais et si le vieux moustachu se trompait sur ce coup-là ? Est-ce si vain que cela d’essayer de comprendre et d’analyser l’oeuvre d’un artiste ? Pour parler de musique, est-il forcément nécessaire d’être musicien ? N’est-ce pas avant toute chose une question de temps que l’on accorde à un objet musical, à la réflexion que l’on se donne. Le problème, c’est que notre temps est dans un perpétuel rapport à l’immédiateté, ce qui nous amène souvent à des raccourcis faciles. Les disques plus complexes pâtissent forcément de cette posture. C’est le cas du dernier disque des Arctic Monkeys, Tranquility Base Hotel & Casino. Naviguant entre Glam et Rock Progressif, ce nouvel album déroute et demande un délai d’adaptation pour en tirer quelques sources de plaisir.
Alors, bien sûr, les oreilles hâtives trop pressées de passer à la prochaine source de potentielle polémique crieront au plagiat de David Bowie et autres Roxy Music. Dire cela d’Alex Turner et des siens, c’est bien mais une fois que l’on a dit cela, a-t-on tout dit ? Bien sûr, il y a une proximité avec l’auteur d’Hunky Dory dans l’usage de la voix mais découvre-t-on que David Bowie est un artiste majeur du 20ème siècle ?
Et que l’on qualifie tout cela de déroutant comme si c’était un vilain défaut.
Ce qui claque aux oreilles à l’écoute de Tranquility Base Hotel & Casino, c’est cette évidente envie de se réinventer. On peut ne pas suivre toutes les voies explorées, ne pas toutes les comprendre mais ces compositions versatiles construites autour d’un piano cachent sans doute bien plus de choses et méritent plus que le mépris empressé que l’on peut lire ici et là. Lorgnant encore une fois du côté des Sixties et des Seventies, Alex Turner signe un disque intriguant toute en circonvolutions brumeuses et limpides à la fois, piochant dans le Rock progressif, mettant en avant une ligne de basse surannée qui ne déparerait pas sur un titre des Beach Boys ou des Zombies. On y entendra aussi Serge Gainsbourg ou François De Roubaix.
Le problème essentiel de Tranquility Base Hotel & Casino est à chercher assurément dans ce refus d’une immédiateté, dans une complexité assumée qui fait dire à certains que cela ne ressemble à rien ou si peu. Quand on observe pour la première fois un tableau, on recule, on se rapproche, on regarde de plus loin puis on s’immerge dedans, on laisse les images vivre en nous. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour une poignée de chansons ? Tranquility Base Hotel & Casino n’est ni en retard ni en avance sur son temps, il est une proposition en dehors des contingences physiques. Tu prends ou tu ne prends pas ? Peu importe. C’est une entité qui se suffit à elle-même sans suffisance ni orgueil.
Tranquility Base Hotel & Casino n’a pas d’autre volonté que d’être un disque de Pop mais un disque de Pop de son temps aux contours flous et multiples. Alex Turner n’a que faire de nous perdre un peu en cours de route. Et tant pis, si tout n’est pas du même niveau ni de la même qualité. Tranquility Base Hotel & Casino est un disque imparfait et c’est tant mieux. C’est une espèce de gros fourre-tout à la manière des Super Fury Animals de Rings Around The World en 2001.
Quand la ligne claire se fait parallèle et sinueuse, quand elle se perd et nous perd, elle sait alors saisir à bras le corps l’audace et créer son propre chemin et son destin. A vous ensuite de donner du temps au temps.
Greg Bod
The Arctic Monkeys – Tranquility Base Hotel & Casino
Label : Domino Records
Date de Sortie : 11 mai 2018