La jeune génération de la chanson et du Rock Français rend un hommage mérité et plutôt réussi à Yves Simon sur la compilation Génération(s) Eperdue(s). Retour sur le projet dans une interview en deux parties. D’abord avec Marc Desse et ensuite avec Nicolas Comment.
© José Ferré
Habituellement, ce que l’on appelle un tribute prend un peu des odeurs de sapin, cela sent l’hommage à un disparu. C’est souvent convenu quand ce n’est pas complètement raté. Une commémoration naît souvent de l’esprit de musiciens qui veulent montrer toute l’admiration pour le travail d’un autre artiste. Pour Génération(s) Eperdue(s), cette compilation qui revient sur les compositions de Yves Simon, le projet est d’abord né de l’idée de Yves Simon lui-même. Du choix des chansons aux musiciens qui les interpréteront avec pour seul critère essentiel, avoir moins de 30 ans. Certains sont déjà un peu connus voire très comme François And The Atlas Mountains, d’autres beaucoup moins comme Clou. Pour mieux comprendre le processus qui a mené à ce disque, Benzine a souhaité échangé avec deux des protagonistes de la compilation, Marc Desse et Nicolas Comment.
Marc Desse c’est l’auteur remarqué de Nuit Noire en 2014. Ne peut-on dire de lui qu’il fait partie de cette génération qui se refuse à choisir entre les chapelles et leurs querelles ? Serait-ce l’esprit commun à cette nouvelle scène française ?
Des musiciens qui ne boudent pas leur plaisir entre des artistes radicaux et la variété. Rappelons nous de Baptiste Walker Hamon à l’occasion de la sortie de L’insouciance. Pour lui, on peut aussi bien aimer Townes Van Zandt que Francis Cabrel. C’est un nouvel âge du glanage sans arrière-pensée. Comme Marc Desse qui s’inspire tout autant de Daniel Darc , de vieux airs des années 50 ou de Yves Simon.
Benzine : Marc Desse, quand on vous pose l’éternelle question des références pour votre musique, vous dites vouloir faire une Pop en Français totalement décomplexée qui va aussi bien chercher dans les années 50 et 60 mais aussi dans la New Wave anglaise (Joy Division, Cure, Stranglers) et le Punk francais (Taxi Girl, Elli Et Jacno, Daniel Darc) des années 70 et 80. Où se situe Yves Simon pour vous dans tout cela donc ?
Marc Desse : C’est toujours un peu réducteur de parler d’influences aujourd’hui car tout cela est finalement assez inconscient et non-calculé. J’aime le Rock, le Rock anglais, le psychédélisme. J’aime la musique des années 70, 80 et 90. Pour le coup, Nuit Noire était très référencée, très Post-Punk et dans un registre assez Dark. Mais à côté de cela, j’ai toujours écouté de la chanson française et j’ai baigné depuis mon enfance dans ce que l’on appelle la variété française en écoutant les disques de mes parents. Il se trouve que mon père est un grand admirateur de Yves Simon, du coup j’ai eu la chance de le découvrir assez tôt grâce à cela. Une autre anecdote, j’ai sorti mon premier morceau en 2012, une démo sous mon propre nom, un titre qui rappelait à certains Diabolo Menthe et pourtant je n’avais absolument pas fait le lien. Des gens qui géraient des pages Facebook de fans de Yves Simon m’avaient contacté en me faisant remarquer la chose. Cela m’a donné envie de réécouter Yves Simon, ce que j’ai fait. J’aime beaucoup sa génération de chanteurs, lui, Michel Polnareff, Gainsbourg, la musique populaire des années 70 en France en somme ! Il n’y a pas que les ricains et le punk qui me parlent, loin de là.
« En terme d’écriture Yves est vraiment un modèle pour moi… »
Benzine : Qu’avez-vous trouvé de commun entre vous et Yves Simon ? Je vous suggère une piste de raisonnement. En préparant cet échange, j’ai lu que vous vous rêviez écrivain, les mots semblent au centre de votre projet musical comme Yves Simon ?
Marc Desse : Je ne peux pas dire que je m’inspire de son travail car je ne connais pas la discographie de Yves Simon sur le bout des doigts mais en terme d’écriture c’est vraiment un modèle pour moi, en culture de la chanson, cette capacité à être simple. Etre parlant sans être simplet, une véritable élégance si vous voulez. Je dois confesser que le fait que Yves Simon soit écrivain me rend un peu jaloux (Rires). J’aimerai le faire un jour. Lui a commencé par être écrivain avant d’être chanteur. Pour être totalement honnête avec vous, je ne connais que le Yves Simon chanteur, je n’ai jamais lu le romancier, je vais m’y mettre (Rires).
Benzine : Vous êtes bilingue, espagnol et Français. Pourquoi ce choix de la langue française dans vos chansons ?
Marc Desse : C’est marrant d’être bilingue car on ne maîtrise jamais vraiment les deux langues, il y a toujours une des deux qui prend le dessus sur l’autre. J’ai habité en Espagne de mes douze à mes seize ans, durant cette époque-là, je ne parlais vraiment qu’espagnol, j’étais au collège espagnol et j’ai un peu perdu mon français pendant ces années-là. Quand je suis rentré à Paris en 2004, je suis retourné au lycée mais un lycée espagnol. J’ai passé mon bac en espagnol. La plupart de mes copains sont repartis en Espagne pour y poursuivre leurs études mais moi je suis resté en France. Il fallait que je me remette à lire et j’écrivais déjà. J’avais commencé à jouer de la guitare à 19 ans, j’aimais la poésie et forcément j’ai commencé à écrire en espagnol. C’était une langue que je maîtrisais bien. Je dis toujours qu’il y a une langue dans laquelle tu te sens plus à l’aise, la langue maternelle. J’ai dû désapprendre cette langue pour mieux appréhender le français, je me suis immergé dans notre langue.C’est à la fac que j’ai rencontré mes premiers amis musiciens avec qui j’ai monté un groupe. C’est là que j’ai commencé à m’exprimer en français dans ma musique.Mais l’espagnol revient toujours. Je prépare en ce moment un disque en espagnol. Ce ne sera pas un disque de Marc Desse mais un autre projet sous un autre nom.
Benzine : Habituellement un Tribute, c’est un hommage de musiciens à un autre musicien. Dans le cas de Génération(s) Eperdue(s), on est dans un processus un peu inversé car Yves Simon, semble-t-il, a été très impliqué dans le projet un peu comme un Directeur Artistique qui fait son casting. Que pensez-vous qu’il a trouvé en vous Marc Desse ?
Marc Desse : A vrai dire, je n’en ai aucune idée. Peut-être les textes et les thèmes que je propose dans mes chansons.Peut-être, du moins je l’espère, ma musique. J’ai été approché par Julien Bescond du label Because qui, à ce moment-là, présentait à Yves des groupes. Je sais que Julien aime bien une de mes chansons, Chanson pour Olive, un titre qui lui a peut-être fait penser à Petite Fille P’tite Misère que je reprends sur le disque. Je ne connaissais pas ce titre avant de le reprendre, c’était une suggestion de Yves Simon que je reprenne ce morceau.. Il m’a laissé le choix entre plusieurs morceaux mais il me voyait bien dans ce titre. Il m’a dit qu’il aimerait vraiment beaucoup que je reprenne celui-là et je me suis lancé dedans. Ce n’est pas le titre de son répertoire le plus évident à reprendre pour moi et Gaël Etienne avec qui j’ai travaillé sur cette chanson pendant des mois par intermittence. Avec Gaël, on a fait de nombreuses versions pour arriver à quelque chose qui nous plaise et à Yves Simon aussi.Je crois que je me suis vraiment plié au souhait de Yves Simon. Comment le lui refuser ? (Rires)
Benzine : Est-ce que dans la production du titre, il y a eu de la part de Yves Simon une démarche de direction artistique ou alors est-ce qu’à partir du moment où le choix de la reprise était fixé il vous a laissé une totale autonomie ?
Marc Desse : Il avait son droit de regard sur les morceaux. C’est d »ailleurs pour cela que l’on a fait plusieurs versions car quand une de nos propositions ne lui plaisait pas, il fallait que l’on recommence. La troisième version était la bonne.Yves ne nous disait pas ce qu’il voulait, il nous disait plus ce qui lui plaisait et ce qu’il ne lui plaisait pas. A nous ensuite de nous débrouiller ! En fait, c’est un très bon exercice, de style certes mais aussi où l’on se cherche soi-même finalement.Je crois bien que le travail sur cette reprise va nourrir mes travaux futurs, il y a comme une forme de continuité pas forcément dans le style musical mais la recherche que l’on a fait sur ce titre m’a aidé pour la suite.Pour mon second album, je reste fidèle au style du premier mais en même temps je continue de creuser cette voie initiée par cette reprise d’un titre de Yves Simon pour Génération(s) Eperdue(s).
Benzine : Cela veut dire quoi une reprise pour vous ? Doit-on être dans un juste équilibre entre respect du matériau existant, la chanson originelle ici et réappropriation pour en faire autre chose ?
Marc Desse : Je pense que c’est vraiment au cas par cas. Prenons l’exemple d’une cathédrale. Quand on la restaure, doit-on la rendre comme elle était ou la modifier ? Pour la reprise comme pour la cathédrale, je suis plus pour la rendre comme elle était. Petite Fille P’tite Misère est très typé Seventies, je trouvais les couplets sonner plus forts que les refrains.J’ai voulu prendre un peu le contre pied là-dessus et tout miser sur le refrain. Dès le début, je ne me voyais pas la reprendre telle quelle… Mon morceau préféré d’Yves Simon, c’est peut-être pas très original mais c’est Diabolo Menthe, je l’aurai sans doute repris sans rien changer mais pour celui-là, il fallait que je me l’approprie car je n’y arrivais pas sinon. J’ai gardé des motifs mais c’est vrai on a joué les couplets un peu à la façon des Clash. Je ne pense pas qu’il soit forcément nécessaire de totalement s’éloigner du morceau original pour réussir sa reprise. Il faut reconnaître la chanson et marcher dans son chemin, garder la patte de l’original.
A force de travailler sur cette reprise, à la fin, j’avais l’impression que c’était une de mes compositions
Benzine : En quoi selon vous, Yves Simon reste-t-il si pertinent et si actuel ?
Marc Desse : C’est sans doute lié aux thèmes qu’il aborde, c’est juste totalement intemporel. Après c’est vrai que les arrangements sonnent très années 70. Mais à force de travailler sur cette reprise, à la fin, j’avais l’impression que c’était une de mes compositions. Pour en avoir parlé avec d’autres participants à Génération(s) Eperdue(s), on est tous d’accord pour dire que l’écriture est un modèle à suivre pour les jeunes musiciens d’aujourd’hui car sa manière d’écrire peut s’associer sans problème à un son moderne, c’est très Pop. C’est la chanson qui prime avant tout, si c’est une bonne chanson, elle résiste à tout. Après, je pense aussi que ma génération est plus décomplexée que celle d’avant par rapport à la Variété. Il y a quelques années, on crachait sur Michel Berger et Véronique Sanson par exemple jugés trop commerciaux face à la Pop des années 80 comme Daniel Darc ou Taxi Girl jugés tellement plus cools. Maintenant, on assume bien mieux ses petit « Guilty Pleasures« , on assume mieux de dire que l’on aime France Gall ou d’autres artistes catégorisés Variété, cela fait moins jaser.
Benzine : 4 ans nous séparent de Nuit Noire, votre premier disque, Marc Desse. A quand le second ?
Marc Desse : Au moment où on parle, je travaille conjointement avec mes amis américains de Detroit. On enregistre les parties de batterie pour le disque. Je pars dans deux semaines avec Gaël Etienne pour finir le mixage, je rentrerai le 10 juin avec un nouveau disque que j’autoproduis. J’espère une sortie fin 2018 ou début 2019. Je suis très fier de ce disque car cela a été à la fois une épreuve et une recherche avec Gaël. Ce sera moins référencé que Nuit Noire car je vais essayer d’explorer plusieurs univers, la musique espagnole, le post-punk, le rock et le psychédélisme. Prendre du temps entre les deux disques a été vraiment un atout, cela m’a servi…
Génération(s) Eperdue(s) est sorti le 27 avril 2018 chez Because. On y retrouve Christine & The Queens, Clou, Flavien Berger, Soko, Moodoïd, Juliette Armanet, Radio Elvis, François And The Atlas Mountains et bien d’autres. Ajoutons aussi que l’on retrouve sur un second cd les retrouvailles émouvantes et lumineuses de Yves Simon avec son public pour un Live à l’Olympia en 2008.
Les Editions Flammarion ont également sorti un livre qui porte le même titre que la compilation et qui regroupe l’intégrale des textes de chansons de Yves Simon.
Un grand merci à Marc Desse et Nicolas Comment ainsi qu’à Paul Lucas et l’équipe de Because.
Un immense remerciement à Yves Simon pour sa bienveillance et sa disponibilité.
Interview : Greg Bod
Credit photos : Hedi Slimane
Retrouvez l’entretien avec Yves Simon chez Addict-Culture