Dans un Trabendo transformé en véritable étuve, Naked Giants puis Car Seat Headrest ont conquis un public ravi de communier avec deux vrais bons groupes de rock actuels.
On ne célébrera jamais assez les vertus du bruit quand il sort d’un ampli de guitare poussé à fond, et quand le type au manche n’en est pas un (de manche). On ne répétera jamais non plus assez qu’un bon vieux power trio des familles (guitare + basse + batterie) reste la manière la plus magistrale de faire du rock. Ce soir au Trabendo, en 45 minutes, Naked Giants (« a band from Seattle », comme ils le clament avec fierté, et ils ont raison…) nous ont rappelé quelques évidences du même tonneau. Et nous ont du même coup donné beaucoup, beaucoup de plaisir.
« La fosse du Trabendo danse un grand sourire aux lèvres, chaque chanson accroche… »
Naked Giants – Trabendo © Eric Debarnot
Bloqués au sommet des années 90, au moment du passage de relais entre Pixies et Nirvana, avec un soupçon de Presidents or the United States pour le goût des mélodies pop et pour la fantaisie, et une touche de blues stoogien pour épaissir le tout, Naked Giants est un groupe incroyable sur scène : ils sont drôles, sympathiques, redoutables musiciens, et ils nous distribuent dans le désordre le plus séduisant passages bruitistes, rythmes déconstruits, accélérations punks, et riffs puissants. Grunge not dead, mais un grunge qui a troqué le désespoir pour un solide appétit de vivre. La fosse du Trabendo danse un grand sourire aux lèvres, chaque chanson accroche, le bassiste (Gianni) invente des danses inédites, le guitariste (Grant) se roule par terre comme il faut et le batteur surpuissant (Henry) gère aussi l’ambiance. Ce soir je ne sais pas si nous avons eu la chance de découvrir un grand groupe de demain et je m’en fous un peu. Car nous avons restauré une fois de plus notre foi en le rock’n’roll.
Aller revoir sur scène Will Toledo et son Car Seat Headrest après la sortie du remake réussi de son classique « Twin Fantasy », c’est courir le risque de la déception qui abîmerait l’amour que nous portons à ses albums, tant l’on sait l’imprévisible caractère de cochon de notre jeune génie. Mais bon, la vie est un risque, non ? Et puis la soirée est déjà sauvée par Naked Giants. Sans même parler du plaisir de rencontrer en chair et en os l’un de mes jeunes et talentueux éclaireurs sur Sens Critique : ce genre de jeunesse enthousiaste et curieuse de tout, c’est diablement rassurant, non ?
« Le set démarre de manière très puissante avec une reprise inattendue du Waves of Fear de Lou Reed… »
21h00 : Will Toledo rentre sur scène, et vient se poster au centre derrière un mini clavier sur lequel il lance une intro quasi électro, fascinante, excitante. Autour de lui, son supergroup se met en place. Supergroup, oui car nous avons droit ce soir à Car Seat Headrest moins Ethan (le talentueux guitariste, fatigué de tant tourner, se reposerait…), plus Naked Giants, avec Gianni et Grant tous deux aux guitares. Et ça, ça va faire beaucoup de différence, et nous offrir le meilleur set de Will Toledo que j’aie pu voir jusqu’à présent ! D’une part, parce que le groupe ainsi constitué a une puissance stratosphérique, et élève indiscutablement les morceaux de Will très loin de l’indie rock un peu maigrelet d’où il vient (ceci dit sans aucune connotation négative…). D’une autre parce que Will, qui n’a plus à se soucier de jouer de guitare désormais, juste de chanter et d’ajouter quelques notes aux claviers, paraît beaucoup plus euh… détendu. Je dis “détendu”, je me comprends, je veux dire que nous aurons droit au cours de l’heure et demi du concert à : 1) un vrai (demi-)sourire (un seul…) 2) une phrase exprimant un peu de préoccupation pour le public qui s’écrase sur la scène basse du Trabendo vu la pression du mosh pit en fusion derrière 3) plusieurs pas de danse et deux ébauches de pogo ! Ouaouh ! Fun ! Fun ! Fun ! A noter aussi que Will a rasé son début de barbiche qui ne lui allait pas trop bien et a retrouvé son look austère d’éternel étudiant trop sérieux, à la limite de l’autisme.
Le set démarre de manière très puissante avec une reprise inattendue du Waves of Fear de Lou Reed, une connexion intéressante je dois l’admettre avec le travail de Will. On entre dans le cœur du sujet avec Bodys, de “Twin Fantasy”, puis avec la première explosion générale de joie et le premier pogo collectif du roboratif Fill In the Blanks. Le programme est annoncé, on revisitera ce soir les titres à haut niveau d’anxiété de “Twin Fantasy” et on se remettra dans l’ambiance, la bonne, avec les morceaux jouissifs et consensuels de “Teens of Denial”. Et vous savez quoi ? Eh bien, ça me va bien comme ça… comme d’ailleurs visiblement à l’ensemble du public d’un Trabendo dépassant les limites admises de température (plaintes récurrentes des musiciens, en bons Américains habitués à la climatisation généreuse de leur pays…).
Maud Gone permet de reprendre son souffle sur cette chanson bouleversante : « I know there’s a full moon every night / When I dress black, it snows white ». Je vois autour de moi les fans absolus de Car Seat Headrest qui connaissent bien entendu chaque phrase de leur idole par cœur, ils / elles chantent en vibrant de douleur et d’extase. Et je suis alors absolument certain que si le concert va être aussi réussi ce soir c’est grâce à ce public exceptionnel que Will rassemble désormais. Un peu comme pour un Morrissey à sa grande époque, voici des gens pour qui les mots de Will ont un vrai sens : Car Seat Headrest parle directement au cœur d’un jeune adulte de 2018. Au cœur mais aussi aux jambes : Destroyed by Hippie Powers, puis Drugs with Friends sont des tueries, propulsées par la guitare magique de Grant. La situation au premier rang devient difficile, entre la chaleur et la pression, on est bien loin du set bien trop calme du Divan du Monde l’année dernière. C’est le moment de tous gueuler ensemble : « Drugs are better with Friends are better with… » adlib, l’un de ces gimmicks irrésistibles qui enchantent dans les chansons de Will.
« Henry joue son rôle d’amuseur public et fait monter des spectateurs sur scène, histoire de mettre de l’ambiance »
J’imagine que ce genre de démonstration doit un peu crisper Will, mais il fait contre mauvaise fortune bon cœur, ce soir il ne va pas nous gâcher la fête et quitter la scène de rage. America (Never Been) est un bel hommage à nos doutes et nos désillusions, un beau cadeau que Will nous fait : « This is heaven but heaven is hard / Because your lover is listening to music you don’t know / And you’re tangled up in the headphone wires / You know our problems, they don’t end / Just because we get boy/girlfriends ». Bon, on en arrive au fantastique Drunk Drivers / Killer Whales, le moment que tout le monde ici chérit, j’en suis sûr, où une grande chanson de désespoir s’envole au firmament sur le fameux singalong final dont on voudrait qu’il ne s’arrête jamais : « It doesn’t have to be like this / It doesn’t have to be like this / Killer Whales, Killer Whales… ». Après ce sommet, Nervous Young Inhumans clôt proprement le set principal.
Le long rappel sera principalement consacré au monstrueux Beach Life-In-Death, sommet épique de “Twin Fantasy”, avec ce fameux break crié au milieu (cette fois crié par le public, mais pas par Will, ah ah…) et son final accéléré parfait pour le headbanging ou le pogo. « Oh please let me join your cult / I’ll paint my face in your colors / You have a real nice face / I had an early death / The ocean washed over your grave / The ocean washed open your grave… ».
Voilà, c’est fini, on peut quitter la fournaise du Trabendo pour la très relative fraîcheur de la nuit parisienne, après un détour par le stand de merchandising pris d’assaut. Quitter le Trabendo avec notre cœur temporairement réparé. Parce que nous savons que nous ne sommes pas seuls face à la dureté du monde, Will écrit et chante pour nous tous ces mots tellement douloureux et compliqués, et il tente à lui tout seul de racheter nos âmes.
« The ancients saw it coming / You can see that they tried to warn them / In the tales that they told their children / But ttrabhey fell out of their heads in the morning / They said sex can be frightening / But the children were not listening / And the children cut out everything / Except for the kissing and the singing / When they finally found their home / At Walt Disney studios / And then everyone grew up / With their fundamental schemas fucked / But there are lots of fish left in the sea / There are lots of fish in business suits / That talk and walk on human feet / And visit doctors, have weak knees »
Reviens vite nous voir, Will, nous avons tellement besoin de tes mots. Mais n’oublie pas ramener quand même ton supergroup !
textes et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Naked Giants sur scène :
Gianni Aiello: bass, vocals
Grant Mullen: guitar, vocals
Henry LaVallee: drum kit, vocals
La setlist (approximative et incomplète) du concert de Naked Giants :
Twist (R.I.P. – 2016)
SLUFF (SLUFF – 2018)
TV (SLUFF – 2018)
Slow Dance II (SLUFF – 2018)
Pyramids (R.I.P. – 2016)
Everybody Thinks They Know (But No One Really Knows) (SLUFF – 2018)
Ya Ya (R.I.P. – 2016)
Les musiciens de Car Seat Headrest sur scène :
Will Toledo – vocals, guitar, keyboards
Andrew Katz – drums
Seth Dalby – bass
Gianni Aiello: guitar, vocals
Grant Mullen: guitar, vocals
Henry LaVallee: percussions
La setlist du concert de Car Seat Headrest :
Waves of Fear (Lou Reed cover) (‘The Ending of Dramamine’ intro)
Bodys (Twin Fantasy – 2011/2018)
Fill in the Blank (Teens of Denial – 2016)
Maud Gone (Monomania – 2012)
Destroyed by Hippie Powers (Teens of Denial – 2016)
(Joe Gets Kicked Out of School for Using) Drugs With Friends (But Says This Isn’t a Problem) (Teens of Denial – 2016)
Cute Thing (Twin Fantasy – 2011/2018)
America (Never Been) (How To Leave Town EP – 2014)
Drunk Drivers/Killer Whales (Teens of Denial – 2016)
Nervous Young Inhumans (Twin Fantasy – 2011/2018)
Encore:
Beach Life-In-Death (Twin Fantasy – 2011/2018)