La jeune génération de la chanson et du Rock Français rend un hommage mérité et plutôt réussi à Yves Simon sur la compilation Génération(s) Eperdue(s). Retour sur le projet avec Nicolas Comment.
Après Marc Desse, autre chanson, autre proposition avec Regarde-moi repris par Nicolas Comment.
Nicolas Comment, on l’a découvert avec des albums à l’écriture racée, un sens du détail sans doute hérité de son regard de photographe.Dans la vraie vie, les deux artistes sont proches. Attardons-nous donc sur l’œil d’un photographe affectueux et complice sur le travail de Yves Simon.
Benzine : Nicolas Comment, ce n’est pas votre premier coup d’essai avec Yves Simon avec cette participation à Génération(s) Eperdue(s). Comment vous êtes-vous rencontré ?
Nicolas Comment : C’est passé par Barclay : je venais de travailler avec Jacques Higelin pour l’album Amor Doloroso ; j’en avais profité pour photographier Jacques d’une manière assez intimiste et j’avais fait un petit film également très intime sur l’enregistrement du disque qui a fini par arriver entre les mains de Barclay. Je crois que c’est Arnaud Le Guilcher qui a montré mon travail photographique à Yves. Cela lui a plu, et Barclay m’a commandé une sorte de reportage très libre sur l’enregistrement de l’album de Yves, Rumeurs. J’ai d’abord fait des images du domicile d’Yves avant de le rencontrer. En fait, il m’a fait parvenir les clés de son appartement, je suis allé chez lui et j’ai photographié librement – en son absence – son intérieur et tout son petit bric à brac de chanteur-écrivain. J’ai trouvé ça vraiment très chouette de sa part… Seulement après, nous nous sommes rencontrés. Et j’ai suivi toutes les étapes de l’enregistrement de l’album avec lui, en studio mais aussi beaucoup dans les cafés de Saint Germain des Près ! C’est assez émouvant aujourd’hui pour moi de penser que finalement et indirectement c’est par Higelin que la rencontre s’est faite…
« Je suis allé chez lui et j’ai photographié à peu près tout. »
Comme Yves Simon, vous avez choisi de ne pas choisir entre l’écriture de chansons et la photographie ou la poésie (vos adaptations de Bernard Lamarche-Vadel). En parallèle de votre discographie, vous avez sorti plusieurs livres, ce dialogue entre les images et le texte nourrit-il également votre musique ou est-ce deux manières presque cloisonnées et très différentes d’appréhender la création ?
En fait, pour moi, la photographie est un mode d’expression à part entière. Je fais des expositions, des livres d’artiste etc. Pour moi, la photographie n’est pas au service d’un sujet… Elle existe par elle-même, sans prétexte. Certains grands photographes sont beaucoup plus importants à mes yeux que nombre de chanteurs de variétés. L’image a dominé mon adolescence. J’ai toujours fait de la musique mais je ne ressentais pas forcément le besoin de la faire entendre aux autres. Ayant fait les Beaux-Arts, la chanson était donc restée un peu comme un jardin secret. Jusqu’à ce que le besoin de faire un disque se fasse ressentir lors d’un voyage à Berlin… C’est d’ailleurs grâce à Yves et grâce à la photographie que j’ai fait mon tout premier disque, car c’est en photographiant Yves que j’ai rencontré Jean-Louis Piérot ( Ex Valentins), en studio. Je venais d’enregistrer une maquette dans la ferme de Rodolphe Burger. Je l’ai filé à Jean-Louis Piérot qui l’a tellement apprécié et qu’il m’a dit qu’il souhaitait le produire. Ensuite, Yves qui avait demandé à écouter les maquettes (je n’avais pas osé lui passer en premier) a lui aussi beaucoup aimé et m’a très fortement encouragé… Le genre de chose qui ne s’oublie pas ! Tout a donc commencé comme ça. Jean-Louis m’a dit « On va produire quelques titres !« . Je lui ai dit « D’accord. Je reviens de Berlin et j’ai une série d’images, alors faisons une suite de chansons sur Berlin. » On a donc sorti Est-ce l’Est en 2008, un livre-disque. Le disque a été un peu remarqué, les gens se sont intéressés aux chansons. Pour le suivant en 2010, j’ai par contre décidé de bien séparer les choses. Avec Nous étions Dieu, j’ai voulu faire un disque indépendamment de la photographie. Même chose sur Rose planète (2015)… Par contre, pour le prochain projet, j’ai envie de mélanger à nouveau les deux médias. Je ne vois pas pourquoi on devrait forcément faire une seule chose à la fois. Regardez, c’est la même chose pour Yves… On a souvent parlé ensemble de sa position d’écrivain-chanteur
Vous dites dans une interview que j’ai lu pour préparer cette rencontre que l’écriture vous permet d’aller plus loin que la photographie dans laquelle vous restez assez pudique…
Oui, par exemple dans Rose planète, mon dernier disque, qui est assez érotique, je peux dire dans une chanson comme Remora ou La Chambre de Sexie des choses assez osées qui passeraient beaucoup moins bien en images. La littérature crée une distance avec l’érotisme. On peut donc en dire plus. Voyez Bataille, Sade, c’est tout simplement irreprésentable… Ceci dit, je pense qu’il y a aussi beaucoup de pudeur dans mes chansons.
Pour Rose Planète, on vous a pas mal comparé à Gainsbourg (peut-être de manière hâtive) en particulier Melody Nelson pour cette volonté à raconter une histoire. Si je vous dis de Yves Simon qu’il est plus un peintre qui esquisse des instants ponctuels dans leur urgence, êtes-vous d’accord avec cette description ?
Vous avez raison. Gainsbourg, je n’y ai pas pensé une seule seconde quand j’ai écrit et enregistré Rose planète… C’est plutôt flatteur, mais c’est totalement involontaire de ma part. Je n’imaginais pas que les journalistes n’écouteraient que le premier morceau… L’album commence par des cordes, une basse au médiator et ma voix en talk-over : terminé ! Pour la presse, c’est du Gainsbourg ! Et comme Gainsbourg est devenu un intouchable dans le ciel médiatique, on élude la question. Dommage, car j’ai le sentiment qu’il y avait autre chose à dire de cet album… Concernant la seconde partie de votre question je dirais que Yves, plutôt que peintre est très cinéaste dans ses textes, voir même « photo-journaliste » dans son approche de l’écriture… Très « reporter du quotidien » dans ses chansons avec des coups de flash : une fille qui traverse la rue dans les phares d’une auto avec un foulard « imité léopard » , il parvient à retranscrire cela en chanson et c’est très beau.
Quand on lit les textes de Yves Simon et je pense ici par exemple à ce « Regarde moi », extrait d’Au pays des merveilles de Juliet, ce disque de 1973,que vous reprenez sur Génération(s) Eperdue(s) on se dit que la thématique reste ô combien actuelle :
« Regarde-moi dans la peau et fais pas gaffe si je tremble
C’est pas l’alcool
Ni l’herbe de Colombie
C’est juste la peur
La peur de tous ces mecs qui t’écoutent
Qui te fichent
Qui te traquent
Et t’oses plus dire je t’aime à une fille que t’as rencontrée
Un soir à Saint-Germain
Quand tu sais qu’elle aussi
Elle a peut-être des micros au bout des seins »
Reprendre ce titre, c’était aussi une manière de montrer toute la pertinence et la qualité d’écriture de Yves Simon ?
En fait, cette chanson je l’ai enregistrée il y a plus d’un an. C’est à dire bien avant l’affaire Weinstein etc. Et d’un coup, c’est vrai que l’on retrouve une forme d’actualité dans son texte : cette parano générale décrite dans la chanson coïncide assez bien avec notre époque… J’ai découvert dans son livre « Générations éperdues » qu’en fait, il l’avait écrite à la mort de son père…Yves a pensé à cette chanson pour moi car il connaissait mes disques. Il m’a convaincu en me disant : « Ta voix et ton Talk Over font que ce morceau devrait te convenir. Je l’aime beaucoup, c’est un titre auquel je tiens et que joue depuis toujours dans mes concerts etc... ». Je serais peut-être allé vers un morceau plus mélodique si je l’avais choisi seul. Mais cela m’a plu de m’investir dans cette reprise car je ne connaissais pas bien cette chanson. J’y suis donc allé sans scrupule. On s’est même permis de modifier les accords du refrain, avec mon camarade Eric Simonet (Mouvement) avec qui j’ai co-réalisé le titre … Il y a peut-être d’autres titres de lui plus parfaits que j’aurai eu plus de mal à adapter. Je l’ai saisi comme une carte blanche. J’aimais bien aussi Raconte-moi qui n’est pas sur le disque et une autre qui est un clin d’oeil à Godard, Deux trois choses que j’ai oubliées d’elle. Il y a au moins une dizaine de titres de Yves que j’aurai pu adapter.
« Une sorte de ligne claire et une certaine distance avec la variété un peu comme Gérard Manset »
Ce qui est étrange, c’est qu’un Tribute est souvent initié par un ou des artistes pour rendre hommage à un autre artiste. Pour Génération(s) Eperdue(s), le processus a été quelque peu inversé, Yves Simon a été peu ou prou à l’initiative de ce projet. Pensez-vous que votre participation au projet lui a semblé comme une évidence ?
Je ne sais pas. Ce que je sais c’est qu’entre Yves et moi, il y a une espèce de connivence. Après Jean-Louis Piérot, il a été le premier à écouter mes premières chansons. Il a défendu mon projet auprès des maisons de disques. Il m’a soutenu au tout début. Je ne savais pas à la base que c’était lui qui s’occupait un peu du projet. Il s’intéresse à la jeunesse, cela a dû lui plaire. J’ai découvert récemment par la presse qu’il avait quasiment tout décidé. Dans mon cas, il m’a appelé tout simplement un soir pour me dire qu’il aimerait que je reprenne Regarde-moi. Je sais aussi que Michel Duval, mon éditeur chez Because, (fondateur du label indé Les disques du crépuscule) avait également envie que je participe au projet… Yves ne s’est absolument pas immiscé dans l’artistique. J’ai dû avoir une seule conversation téléphonique en amont avec le Directeur Artistique de Because et puis j’ai rendu le titre, final cut. Yves Simon l’a écouté et m’a dit qu’il l’aimait beaucoup. L’originalité de cette compilation, c’est qu’il a choisi finalement des gens assez peu connus, ce qui rend le disque intéressant.
Reprendre le titre d’un autre artiste, cela veut dire quoi pour vous, Nicolas Comment ?
Je trouve cela intéressant mais dans la mesure où l’artiste que l’on reprend est un musicien qui compte pour celui qui le reprend. Par exemple, j’ai vu des albums de reprises paraître juste avant et juste après la mort de Hallyday… Et on sentait quelque-chose de pas vraiment sincère, de typiquement commercial… Yves Simon, c’est quelqu’un que j’ai découvert à l’adolescence, dans la médiathèque de ma ville natale. Je me rappelle avoir sorti tous ses vinyles des bacs et les avoir écoutés les uns après les autres, seul et calmement. Personne ne m’avait parlé de lui, il n’y avait aucune actualité médiatique autour de ses albums. À l’époque, je pense qu’il ne faisait plus de disque, qu’il écrivait des romans. Et j’ai trouvé cela très beau, une sorte de ligne claire et une certaine distance d’avec la variété, un peu comme Gérard Manset que j’ai découvert à la même époque… Cela a été une étape importante d’initiation ; Yves Simon, c’était Paris, la place Dauphine la nuit, c’était le discret représentant d’un certain dandysme parisien – post Nouvelle Vague –, chanteur-écrivain, chanteur-savant : c’est tout de même le seul chanteur capable de citer dans une chanson le moins célèbre des écrivains de la Beat Génération : Corso ! C’est pourquoi ma rencontre avec Yves a été assez merveilleuse. Nous avions des références en commun. Des admirations communes… Dont certaines me venaient en fait de lui.
Le choix de Yves Simon était de faire appel pour Génération(s) Eperdue(s) à de jeunes musiciens de moins de 30 ans. Si on devait faire une filiation entre Yves Simon et des musiciens plus installés, on pourrait évoquer qui ?
J’ai l’impression que toute personne qui a eu une certaine importance musicale influence les autres de manière souterraine. Si l’on cherche la preuve de l’influence de Yves Simon sur les musiciens d’aujourd’hui on l’a avec cette compilation où beaucoup d’artistes ont réagi. Le nom qui me viendrait là de suite quand je pense à quelqu’un chez qui je sens une proximité avec le travail de Yves Simon, ce serait peut-être le chanteur suisse Jean Bart, porté disparu mais auteur de très beaux albums dans les années 90. Peut-être Dominique A à ses débuts où il était dans une plus grande fragilité, je pense à La Fossette par exemple.
Rose Planète est sorti il y a maintenant 3 ans, à quand le prochain disque ?
Je n’ai pas encore de date précise mais il s’agit d’un disque assez minimaliste, en tout cas volontairement moins arrangé que mon dernier album (Rose planète). En fait, depuis longtemps, j’ai le fantasme d’un projet « Folk »… Mais comme je vous le disais, j’ai également envie de renouer avec cette hybridation entre chansons et photographies. Je suis actuellement en résidence dans le Sud de la France où je travaille visuellement sur les traces d’un poète oublié mais tout à fait extraordinaire dont ce disque constituera une forme d’hommage… L’album est quasiment terminé, je pense le sortir sous forme de livre-disque avec le label Médiapop tout en le distribuant parallèlement sur les plateformes comme tout un chacun désormais.
Génération(s) Eperdue(s) est sorti le 27 avril 2018 chez Because. On y retrouve Christine & The Queens, Clou, Flavien Berger, Soko, Moodoïd, Juliette Armanet, Radio Elvis, François And The Atlas Mountains et bien d’autres. Ajoutons aussi que l’on retrouve sur un second cd les retrouvailles émouvantes et lumineuses de Yves Simon avec son public pour un Live à l’Olympia en 2008.
Les Editions Flammarion ont également sorti un livre qui porte le même titre que la compilation et qui regroupe l’intégrale des textes de chansons de Yves Simon.
Un grand merci à Marc Desse et Nicolas Comment ainsi qu’à Paul Lucas et l’équipe de Because.
Un immense remerciement à Yves Simon pour sa bienveillance et sa disponibilité.
Interview : Greg Bod
Credit photo : Richard Dumas
Retrouvez l’entretien avec Yves Simon chez Addict-Culture