Master of Reality vient à peine de sortir dans les bacs, que nos quatre Anglais de Black Sabbath repartent déjà au charbon pour ne pas laisser retomber la pression. Mais les tournées internationales incessantes, cette Life on the Road épuisante rongent les énergies.
Le Sab s’octroie alors une pause Californienne pour l’enregistrement de ce Vol 4; mais dans ce quartier calme de Bel Air un monstre vicieux va surgir: La cocaïne ! Black Sabbath oublie sa Marie-jeanne pour la poudre, laisse l’ancien monde pour le nouveau, et va tenter d’écrire une nouvelle page de son grand livre. « she don’t lie, she don’t lie: cocaïne. »
Tout est allé très vite pour Black Sabbath.
Nous sommes encore en 1971 et en l’espace de deux ans et trois albums, le groupe s’est hissé à la force du poignet – malgré la légère ostracisation et le peu de sérieux accordé au groupe et à ce « Metal » encore inconnu par la critique musicale – parmi l’élite du Rock.
Master of Reality vient de sortir en ce bel été 71 et met en place la structure du genre Metal, fonde l’ossature en acier trempé du Heavy. Le groupe repart en tournée rôder le genre qu’il vient de créer et effrayer un public encore vierge des excès scéniques et sonores de la bande à Osbourne. Master of Reality et ses effluves cannabiques réjouissent les oreilles et les neurones des spectateurs du monde entier. Un succès ! Mais le rythme des tournées est infernal et pompe l’énergie des quatre de Birmingham. La Marie-jeanne ne suffit plus, hélas. L’ode à la fleur étoilée Sweat Leaf semble déjà loin, la douceur de la Ganja et sa défonce rigolarde n’est plus le carburant principal d’un groupe en plein développement. Un essor trop important, un succès trop rapide, trop démesuré pour l’humble trois-feuilles de beuh qui trônait dans le cendrier des Anglais. Le groupe va franchir un cap.
La tournée « Master of Reality » se termine. Les organismes sont épuisés, les esprits échauffés et le moteur à plat.
C’est dans une luxueuse villa à Los Angeles dans le quartier de Bel Air, que nos quatre British viennent se ressourcer et mettre en branle leur quatrième album qui sera sobrement intitulé: Vol 4.
Pour comprendre le changement, la rupture que représente ce Vol 4, il faut en croire Geezer Butler (Basse) quand il explique très sérieusement que la moitié du budget consacré à l’enregistrement de l’album servit en réalité à financer l’achat de cocaïne et autres psychotropes divers.
En effet, le Sabbath en cette année 72 passe aux choses sérieuses, abandonnant la verdure naturelle de la fleur étoilée pour la blancheur artificielle de cette poudreuse à sniffer. Cette villa de Bel Air va devenir la marmite en ébullition dans laquelle le groupe va préparer sa soupe, le chaudron de sorcier autour duquel le groupe va hurler ses incantations maudites dans une transe opiacée et livrer ce grand disque un peu malade.
C’est également – et c’est important – le premier disque produit par Tony Iommi himself (avec tout de même le manager Patrick Meehan crédité comme co-producteur sur le disque, mais dont le rôle véritable se bornait à ramener la came pour ses poulains) qui se retrouve seul aux manettes du Sab.
C’est un groupe en pleine liberté qui s’ébat joyeusement dans cette villa Californienne. Une liberté totale, débridée, sans limite. Le rêve Américain de quatre gamins de Birmingham qui passent en une paire d’années de l’anonymat et des joints d’herbe partagés à la sortie des concerts à la gloire internationale et ses rails de coke tracés par des bimbos dénudées sur la table en verre du salon.
Ce sera d’ailleurs la poudre, cette cocaïne brulante qui fabrique des surhommes avant de les transformer en loques, qui sera le fil rouge de ce Vol 4 (qui devait se nommer Snowblind (Cécité des neiges ou tempête de neige également, signifiant aussi « nez dans la poudreuse »). La Warner mettra la pression sur le groupe pour changer le titre de l’album. Tant pis.).
Wheels Of Confusion débute d’ailleurs comme un coup d’oeil dans le rétro, la transition de la Marijuana à la coke, de l’ancien au nouveau monde. Une intro de gratte qui pue le « Flower Power », qui transpire le « Summer of Love », on s’attend à entendre chanter la grande Janis Joplin quand soudain Tony Iommi déboule sans crier gare avec un riff puissant, lourd comme les loches de Gianna Michaels et file un grand coup de pompe dans le train à toute une époque désormais surannée. Une introduction d’album comme une fausse piste, comme pour rappeler que le changement d’ère a bien eu lieu et que dorénavant le nouveau son c’est Black Sabbath.
S’ensuit une véritable démonstration de ce néo-Rock, de ce Metal tout frais, à peine forgé. Le « Riffmaster » balance une rafale de riffs Heavy (Cornucopia ou Tomorrow’s Dream, par exemple) et te cloue à la porte de la grange, ton pauvre cervelet explosé contre le mur de derrière et les tympans irradiés.
Cette retraite opiacée de plusieurs semaines et la prise en main de Iommi sur le groupe, sur sa musicalité et sur son devenir va faire franchir un nouveau palier au Sab.
Le son de Black Sabbath s’affine. Un son moins lourd que Master of Reality, moins gras. Iommi travaille encore le son, un grain plus aride, plus crunchy, gavé de Fuzz et de distorsion. C’est un Metal encore jeune, plein de sève, en pleine évolution sur ce Vol 4.
Les Anglais profitent de cette liberté – artistique et financière – et de cette poudreuse de première qualité pour expérimenter sans limites de temps ou d’argent: Une première balade pour le Sab avec Changes, (sans guitares, ni batterie) des césures de chansons folles, flirtant avec un Rock Prog’ gavé de testostérone (Les percus Salsa sur Supernaut par exemple), des interludes musicaux récréatifs avec guitare acoustique et violons sur Laguna Sunrise ou beaucoup plus barré avec FX que Iommi aurait enregistré en pleine montée de coke, entièrement nu dans le studio, frottant son crucifix métallique sur les cordes de sa Gibson SG.
Le Heavy prend définitivement le pas sur cet album; les intermèdes musicaux permettent la respiration entre les nombreux morceaux de bravoure que nous offre le groupe. Un groupe qui se connait de mieux en mieux, dont les tournées à répétition ont soudés les amitiés (pour l’instant en tout cas) et qui s’améliore techniquement d’années en années.
Ozzy apprivoise sa voix, parvient à dompter cette bête sauvage en liberté dans ses cordes vocales. La rythmique – démente ! – a une fois de plus les mains libres et s’expriment de la plus belle des manières. Bill Ward est en feu derrière ses fûts, mêlant son Groove naturel aux figures imposées du genre Metal tandis que Geezer Butler continue de maltraiter sa basse, crachant rugissements saturés et balancement rythmique lourd et gras comme le décolleté de Gianna Michaels (Ouais mon pote ! Encore elle).
Le groupe est au sommet de son talent et de sa consommation de cocaïne. Les morceaux s’enchaînent, sauvages, épiques.
Snowblind déverse sur tes pompes des litrons de satu’ râpeuse comme une barbe de trois jours; Ozzy gueule son hymne à la coke en état de transe, tandis que Tony Iommi enfariné jusqu’aux yeux balance un solo final tout en déséquilibre. Un équilibriste défoncé titubant sur son fil, manquant de tomber dans les abîmes à chaque notes, un solo déstructuré, en pleine overdose, des notes qui chutent et tentent de se raccrocher aux branches comme elles le peuvent.
Un chef-d’oeuvre du Sabbath saupoudré de came premier choix, une ode à la blanche, violente et bancale comme ta première surdose nasale.
En 1972, la neige tombait à gros flocons sur Los Angeles.
Le quatrième album de Black Sabbath s’est pris de plein fouet la tempête de poudreuse mais en est sorti renforcé.
Il ressort de ce Vol 4 un mélange improbable de force brute et d’instabilité fébrile, la drôle d’idée qui te ferait fumer un bédo surchargé pour lutter contre un « bad trip » de cocaïne afin de trouver un équilibre précaire.
Un voyage sous acide dans le génome en construction d’un groupe en perpétuelle mutation, une overdose musicale qui transformerait sa propre stérilité mortifère en créativité débridée, en inventivité lumineuse.
La came a donné des ailes au Sabbath. Attention à l’atterrissage.
Renaud ZBN