On ne connaît pas encore bien l’illustratrice et coloriste italienne Barbara Baldi en France, mais son magnifique premier roman graphique La Partition de Flintham devrait changer la donne.
Une bonne BD peut-elle atteindre à la « grandeur » par la seule force de son dessin ? Le sens commun suggère que non, bien sûr, puisque la dictature du scénario tout-puissant nous a depuis longtemps convaincus d’exiger aussi une bonne histoire. Mais voilà que cette Partition de Flintham arrive pour ébranler nos certitudes. Premier livre d’une visiblement brillante illustratrice italienne, Barbara Baldi, ce livre nous envoûte, nous enchante, nous promène, simplement (?) à l’aide de ses images sublimes, sombres aquarelles rendant régulièrement hommage aux chefs d’œuvre de la peinture classique.
Le livre est construit sur de très rares dialogues, et sur une histoire qui évoque immédiatement certains clichés romantiques éternels (les Soeurs Brontë, coucou !), avec son héroïne retranchée dans un refus du monde presque arrogant, mais prête à tous les labeurs et toutes les humiliations pour sauver l’héritage de sa grand-mère bien-aimée. La Partition de Flintham, titre français un peu absurde sans doute imposé par le caractère intraduisible du titre original en Italien (« Lucenera« , lumièrenoire ?), peut également nous rappeler les réflexions socio-politiques de Downton Abbey sur les contraintes économiques de la noblesse et sur les rapports entre maîtres et servants…
Baldi ne pousse pas toutefois pas la logique de son histoire jusqu’au bout : elle abandonne sans résolution les divers fils de son intrigue, et refuse de conclure de manière logiquement tragique le destin de Clara, la sauvant grâce à un happy end par trop improbable, en nous faisant le coup usé du Deus Ex Machina (même si les deux dernières cases, énigmatiques, laissent planer un doute salutaire)… On ne peut donc pas dire que Barbara Baldi ait vraiment misé sur son scénario, qui ne paraît jamais vraiment l’intéresser, qui relève parfois plus de la logique des rêves (des cauchemars… puisque le pire est toujours certain !) que du rationnel.
Pourtant, et c’est là toute la magie de ce livre plus singulier que formaliste, il est difficile de le reposer avant de l’avoir terminé : chaque illustration nous entraîne dans le monde douloureux de son héroïne romantique sur laquelle s’abattent tous les malheurs imaginables. La chute est cruelle, longue, étourdissante, mais la manière dont Baldi injecte une petite lumière vaillante dans la nuit noire et froide qui menace sans cesse d’engloutir Clara est si belle que la jouissance du lecteur se fait de plus en plus aiguë.
La Partition de Flintham est une expérience rare.
Eric Debarnot
La Partition de Flintham
Dessin, couleurs et scénario : Barbara Baldi
Editeur : Ici Même Editions
120 pages – 25€
Date de sortie : 25 mai 2018