Concert d’exception ce jeudi 14 juin 2018 au Bataclan avec un Ty Segall band de très haut niveau ! 1h40 qui ont prouvé encore une fois que Ty Segall est aujourd’hui au sommet du Rock mondial.
Le Bataclan ! Oublions un instant l’horreur de 2015 et souvenons-nous des concerts inoubliables que nous y avons vécu : mon voisin de premier rang me reparlait du concert mythique Lou Reed, Nico et John Cale, et des passages inoubliables de Motörhead, tandis que je repensais moi-même à ces nuits de folie en compagnie de Doctors of Madness, du Clash et surtout du Gun Club… Oui, ne me parlez plus de l’Olympia et du fantôme de Piaf, le Bataclan est bel et bien la seule salle de concerts parisienne où les miracles se répètent avec une régularité qui devrait lui valoir une canonisation par l’église du rock’n’roll. Et ce soir, c’est Ty Segall qui va bénéficier à son tour de cette alchimie merveilleuse. Ce soir nous allons vivre une grande nuit, mais alors que nous attendons dans la salle qui tarde à se remplir, nous ne le savons pas encore, bien sûr…
19h50 : En première partie, le programme nous promet Sic Alps, groupe de garage californien faisant partie de la galaxie Ty Segall, il est vrai officiellement dissout… Publicité mensongère, car nous n’aurons droit qu’à un Mike Donovan en solo… qui ne s’avérera pas passionnant avec ses chansons assez informes – ni mélodie ni véritable rythme – jouées pour la plupart à la guitare acoustique. Malgré l’enthousiasme manifeste de Donovan, on s’ennuie rapidement. Un passage plus intéressant quand même quand il s’installe derrière un petit clavier dont il tirera des sons électroniques menaçants s’accordant mieux avec ses morceaux. 35 longues minutes peu stimulantes, d’ailleurs le brouhaha des conversations derrière moi était assourdissant…
Notre époque se rend-elle compte de la chance qu’elle a de connaître un Ty Segall ? Rien n’est moins sûr, si l’on en juge le fait qu’une salle de taille moyenne comme le Bataclan n’a pas complètement fait le plein ce soir.
Sans même parler de la prépondérance de vieux briscards chauves et grisonnants – comme moi – au premier rang, comme si le goût du VRAI rock’n’roll était passé à la jeunesse… Mais bon dieu, où est l’excitation électrique qui précédait il y a seulement quelques années encore l’apparition sur scène de musiciens aussi importants ? Surtout après un album aussi éblouissant que « Freedom », dont on n’a pas non plus assez célébré dans la presse la fougue et d’inventivité…
20h45 : le Freedom Band se présente placé en arc de cercle, et Ty Segall étant habituellement à l’extrême droite, j’ai fait le pari ce soir de me positionner sur la gauche pour le voir de face. Ce à quoi je n’ai pas pensé, c’est que, vue la puissance du Marshall d’Emmett, le second guitariste, juste en face de moi, je n’entendrai quasiment pas de tout le set ni la guitare ni la voix de Ty ! C’est ballot quand même ! Mais bon, le plus curieux c’est que cette limitation ne gâchera en rien une soirée qui va gagner peu à peu en puissance et en folie pour atteindre le statut de « concert mythique »… si, si !
Ça commence très fort, avec Wave Goodbye, puis Fanny Dog, histoire de bien poser les jalons : ce soir, Ty Segall n’est pas là pour amuser la foule, mais pour envoyer des boulons. Derrière moi, je vois de jeunes âmes fragiles reculer en se bouchant les oreilles, tant les amplis crachent du plomb fondu qui brûle les tympans quand on est devant. Je sais déjà que demain matin, je serai sourd, et, croyez-moi c’est bon de revenir aux fondamentaux ! En fait toute la première demi-heure du set va être un enchaînement lourd et speedé de titres qui tuent, d’une efficacité redoutable, qui va tout de suite transformer la fosse du Bataclan en fournaise. Comme d’habitude ici, la clim qui nous a rafraîchis durant la première partie n’est plus qu’un lointain souvenir, on est de retour dans le fameux sauna du Bataclan !
« Ty n’adopte pas de position privilégiée au sein de son groupe : sa guitare et sa voix s’intègrent dans le maelstrom ambiant »
Je suis impressionné par l’énergie que dégagent la section rythmique de Mikal et Charles, et surtout la guitare d’Emmett Kelly en face de moi. Il est intéressant de noter que Ty n’adopte pas de position privilégiée au sein de son groupe : sa guitare et sa voix s’intègrent dans le maelstrom ambiant, et depuis la droite de la scène, il fait constamment preuve de simplicité et d’humilité. On a envie de répéter que Ty, c’est le modèle du chic type, du musicien sincère et dévoué à la création d’une musique originale, généreuse… plutôt qu’à la mise en avant de son propre ego. Et ça fait quand même une énorme différence par rapport à l’attitude de nombre de rockers furieusement égocentriques.
On entre maintenant dans le cœur du set, avec de longs, longs morceaux en forme de jam psychédélique – je crois reconnaître Warm Hands (Freedom returned), mais honnêtement je ne suis pas sûr, et d’ailleurs cela n’a pas vraiment d’importance : pour en jouir, il faut accepter de retourner à la fin des années 60 et au début des années 70, quand le Rock explorait – et se perdait parfois dans – des formes plus lâches, plus aventureuses, un peu à la manière du jazz. Pendant ces moments-là, Ty ne joue clairement plus pour le public mais pour son propre plaisir, et le groupe est totalement concentré sur ses improvisations, faisant d’ailleurs preuve d’une maîtrise technique époustouflante. Mais ce soir, quelque chose se passe de « plus », qui va élever le concert au-delà du niveau de qualité habituel : le public du Bataclan, tout simplement, est fantastique, et toute cette masse transpirante et frénétique fait littéralement corps avec la musique, soulevant régulièrement le groupe bien au-dessus d’une virtuosité qui risque toujours de sombrer dans la gratuité. Les slammers se multiplient, attirant forcément l’attention de Ty, et tout le monde semble être entré dans la transe.
« nos oreilles sont hachées menu par les déchirures et les stridences vomies par les amplis. »
Un petit break plus « commercial », plus facile, avec Despoiler of Cadaver et Every 1’s a winner, avant de repartir dans de superbes duels de guitare entre Ty et Emmett, passionnants à suivre quand on est juste devant les musiciens. La complicité dans le groupe est extraordinaire, et le plaisir pris par Ty et son Freedom Band est communicatif. Le concert monte encore et encore, et nos oreilles sont hachées menu par les déchirures et les stridences vomies par les amplis : âmes sensibles, d’abstenir ! My Lady’s On Fire voit une courte intervention de Mikal au saxo tandis qu’Emmett prouve qu’il n’est pas un manche non plus à la basse, mais tout cela reste quand même anecdotique, car ce que nous réclamons, c’est du lourd, du plomb et des boulons ! Et nous allons être servis…
Il n’y a plus moyen de se protéger contre les assauts incessants des slammers, ni contre la pression du mosh pit en folie, et nous sommes écrasés contre la scène, luttant pour notre chère vie alors que la folie finit par s’emparer de la totalité de la salle. Derrière moi, un pauvre spectateur cherche par terre, avec l’aide de ses voisins, les verres de ses lunettes explosées… Les morceaux heavy se succèdent, transpercés par des soli en fusion, et on a perdu la notion du temps. Mais c’est déjà fini ! Et non, car ce soir, Ty nous gratifie d’un rappel, pour nous achever. Mais lui-même ne va pas résister à la folie générale, il confie sa guitare à un slammer – qui apparemment sait à peu près quoi en faire pendant l’absence du maître – et plonge dans la foule : fun ! fun ! fun ! Sauf que quand Ty ressort, il a l’air complètement bouleversé, il arrête le groupe, et nous annonce qu’il a perdu son alliance ! « Est-ce que tout le monde peut regarder par terre ? ». Instant d’angoisse, merde, la soirée ne peut pas être gâchée en finissant comme ça ! Mais non, mais non, les miracles existent dans cette salle merveilleuse qui a connu le pire absolu, et un spectateur lui tend sa précieuse alliance : moment totalement improbable, et joie générale. On finit le rappel dans l’exaltation, on sait tous qu’on vient de vivre l’un de ces rares concerts qui comptent vraiment.
1h40 de très haut niveau, d’une folle générosité – je me répète, mais quel autre mot utiliser ? 1h40 qui ont prouvé que Ty Segall est aujourd’hui tout au sommet du Rock contemporain. Et peut-être plus important encore, que le Bataclan a survécu au 13 novembre 2015 et demeure ce lieu magique où la Musique VIT.
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Ty Segall sur scène :
Mikal Cronin – basse, saxophone et chœurs
Emmett Kelly – guitare
Charles Moothart – batterie
Ben Boye – orgue
Ty Segall – guitare et voix