Et si Mai 68 avait vraiment mal tourné ? Et si la révolte avait débouché sur la destruction de Paris ? Une hypothèse qui a stimulé l’imagination des auteurs dans deux uchronies étonnantes… à défaut d’être crédibles.
Pour commémorer les cinquante ans de mai 68, Delcourt publie une édition spéciale « deux-en-un », qui est en fait une compilation des tomes 6 et 8 de la série uchronique Jour J. Grinçant dans le premier cas, plus sombre dans le second, ces ouvrages sont consacrés à cette période agitée qui en son temps avait soulevé tant d’espérance en un monde meilleur.
Si les deux tomes traitent de la situation en imaginant une guerre civile postérieure aux événements, le premier le fait pratiquant l’ellipse, passant directement des émeutes à la phase de reconstruction cinq ans après, le second en plongeant le lecteur au cœur des combats en 1976, alors que la paix n’est toujours pas revenue dans le pays.
1ère partie – L’Imagination au pouvoir ?
Paris, mai 1968 : la révolte gronde dans le Quartier latin, la police est sur les dents et le gouvernement aux abois. De Gaulle est parti en Allemagne sous prétexte de consulter l’armée, mais son hélicoptère s’est crashé en Lorraine et le Général n’a pas survécu. Pendant ce temps, un énorme transfert de fonds de la Banque de France vers le Fort de Vincennes vient d’être ordonné secrètement par le gouvernement intérimaire. Cinq ans plus tard, la « Commune » est au pouvoir, alors que pays est en pleine reconstruction après une guerre civile de deux ans…
Toute l’histoire va tourner autour de ce « trésor » mystérieusement disparu, dans un contexte de paix fragile et de guerre des factions, de machinations politiques et de fantaisies architecturales psychédéliques. L’idée est pour le moins étonnante, en tout cas amusante, de voir comment la situation aurait évolué si la « chienlit » (expression si chère aux réactionnaires de l’époque) s’était organisée pour prendre les manettes du pays, avec un Paris meurtri par la guerre civile et envahi de constructions douteuses qui lui font ressembler à une fête foraine hippie. Cela n’est toutefois guère réaliste, et on imagine mal Daniel Cohn-Bendit et Serge July occuper les plus hautes fonctions de l’Etat dans un décor de SF d’opérette. Sous certains aspects, c’est assez grinçant, dommage que le scénario semble se disperser au risque d’une certaine confusion. Mr Fab quant à lui fait le job en produisant un dessin conventionnel mais léché, avec une plaisante reconstitution des seventies uchronisées.
2e partie – Paris brûle encore
1976. La France est dévastée après huit longues années de guerre civile dans la foulée de mai 68, tandis que les forces alliées tentent de maintenir un semblant d’ordre. Dans un contexte très tendu, un journaliste américain mandaté par un collectionneur d’art va partir en quête d’un célèbre tableau volé : la Joconde.
Une vision bien plus apocalyptique que le précédent. Cela commence comme un récit de guerre, sorte de remake du débarquement en Normandie, pour continuer façon Mad Max dans un contexte hyper violent où les factions rivales s’affrontent sans pitié. Les auteurs ont ici choisi clairement de placer leur récit dans l’action et le bruit des mitrailleuses, l’aspect politique étant remisé au second plan. Il y a un côté assez glaçant de voir la France ressembler à la Bosnie des années 90 ou à la Syrie actuellement, et ceux qui considèrent que tous nos maux viennent de mai 68 pourraient peut-être s’estimer heureux en lisant cet ouvrage d’avoir échappé au pire… Néanmoins, on pourra trouver aussi certaines situations un rien risible et pas du tout crédibles, qu’il s’agisse des milices catholiques extrémistes roulant à tombeau ouvert dans des 404 customisées pour buter du communiste, ou encore d’un punk iroquois maniant avec une parfaite aisance le lance-roquette à deux pas de la Concorde. Bref, si l’histoire se lit facilement et reste distrayante, on ne peut pas dire qu’elle bénéficie d’une profonde analyse intellectuelle.
Avant de lire cette « édition spéciale », il faut bien avoir à l’esprit qu’il s’agit de l’assemblage de deux histoires différentes bien que le thème abordé soit le même. Je me suis moi-même laissé prendre, sans doute à cause de la continuité graphique, vaguement déconcerté par la transition un peu soudaine au milieu du livre, mais sans plus. Ce n’est qu’après coup que je réalisai que les deux parties comportaient bien un scénario distinct.
Le tout est sympathique mais pas inoubliable. Il faut noter enfin que cette compilation est augmentée d’un « cahier didactique » et de l’interview d’un collaborateur du Général de Gaulle à propos de la fugue de ce dernier à Baden-Baden.
Laurent Proudhon
Jour J Edition spéciale (compilation tomes 6 & 8)
Scénario : Fred Duval & Jean-Pierre Pécau
Dessin : Mr Fab (tome 6) & Damien (tome 8)
Editeur : Delcourt
128 pages – 22,95 €
Parution : 14 mars 2018