Après son jouissif Dernier Train pour Busan, Yeon Sang-Ho revient – sur Netflix seulement – avec Psychokinesis, un nouveau film ambitieux tentant le mélange de genre.
Dernier Train pour Busan, son mélange de genres réussi – comme c’est souvent le cas, il faut l’admettre, dans le cinéma sud-coréen – et sa belle énergie nous avaient quand même laissés avec quelques doutes quant au talent de Yeon Sang-Ho, la faute surtout à la lourdeur de ses scènes « sociales ». Et ce n’est pas ce Psychokinesis, film-Netflix qui plus est, qui les lèvera, puisqu’on parle cette fois d’une réussite beaucoup plus discutable : en faisant intervenir dans un contexte socio-politique chargé un père démissionnaire, devenu super-héros improbable après avoir pris une gorgée d’eau de source contaminée, Yeon Sang-Ho tenait entre ses mains l’un de ces scénarios complexes et malins dont un Bong Joon-Ho a tiré naguère ses meilleurs films (Memories of Murder et The Host). Le défi était évidemment de faire fonctionner et les scènes d’action, et le psychodrame familial, et les éléments fantastiques du récit, tout en développant une satire sociale pertinente… L’échec de Psychokinesis sur une grande partie de ces tableaux nous oblige à admettre que Yeon Sang-Ho n’a pas l’envergure nécessaire à faire tenir debout un programme aussi complexe !
La principale erreur de Yeon Sang-Ho est de miser avant tout sur la comédie burlesque, avec la délicatesse que l’on sait quand il s’agit d’humour coréen : ce choix désamorce largement l’ensemble du dispositif, et dessert particulièrement les personnages, dont on finit par se moquer complètement au bout d’une demi-heure. En parallèle, la réflexion « politique » du film touche à la caricature la plus improbable, et même si l’on veut bien adhérer à cette histoire de collusion entre les intérêts politiques et les objectifs financiers d’un groupe désirant construire un super shopping centre à l’intention des touristes chinois fortunés, au détriment évidemment de la population du quartier expropriée manu militari, ce n’est pas la finesse de l’analyse qui aidera à rendre crédibles nombre de scènes frôlant l’absurde ! Sans doute conscient qu’il va droit dans le mur, Yeon Sang-Ho opère d’ailleurs une rupture audacieuse à mi-parcours, en introduisant le personnage délirant d’une CEO sociopathe, qui fait une bonne fois pour toute exploser toute notion de vraisemblance, mais procure quelques moments franchement décalés qui ne sont pas sans un certain charme.
S’ensuivent les habituelles – et franchement pénibles – scènes de destruction évoquant les pires travers du cinéma US de super-héros, avec heureusement suffisamment de sens du burlesque pour que le spectateur prenne son mal en patience, avant une conclusion pour le moins originale, qui pourrait bien racheter par sa malice une bonne partie des maladresses qui ont gâché Psychokinesis : quatre ans plus tard, le projet de construction capitaliste s’est dégonflé comme une baudruche (« Tout ça pour ça !? »), tandis que le meilleur usage que le héros malgré lui puisse faire de ses super-pouvoirs est de servir plus rapidement les bières dans le nouveau restaurant de sa fille, désormais confortablement mariée à un jeune avocat fortuné. Ce coda, plus lucide que cynique, prouve en tous cas que Yeon Sang-Ho a bien saisi la fonction du super-héros dans le système marchand (servir fondamentalement d’image marketing à la vente de tout et n’importe quoi, ici du poulet grillé, comme on ne comprend dans le dernier plan), mais aussi que le cinéma populaire sud-coréen, s’il n’a plus la fulgurance qu’on lui a connu voici une vingtaine d’années, reste capable de porter un point-de-vue lucide sur les travers les plus absurdes, et les plus dérisoires, de la société contemporaine. On aimerait voir de tels éclairs d’intelligence – même passagers – dans le cinéma populaire français !
Eric Debarnot