Dans la marge, Olivier Savaresse construit un univers singulier, limpide et tortueux à la fois, parfois complexe mais toujours passionnant tel ce « Courage des Innocents ».
Certains disques ne sont pas faits pour les frileux. Ils demandent autre chose qu’une analyse hâtive. C’est le cas de ce nouvel album d’Olivier Savaresse, Le Courage Des Innocents. Si l’on devait qualifier d’un seul mot forcément réducteur, ce serait sans doute changeant tant les compositions du monsieur semblent ombrageuses et caractérielles. Quand d’autres chantent le courage des volatiles en souhaitant ensuite leur mort, Olivier Savaresse fait acte d’humilité en réhabilitant l’innocence.
On vient chercher dans les disques d’Olivier Savaresse un regain d’esprit d’aventure, d’assurance de se perdre dans des circonvolutions incertaines. Pourtant, jamais avare de paradoxes, l’auteur nous raconte une histoire comme dans les albums-concepts des années 70 avec une belle nuance dans la science des chapitres. Le Courage des Innocents raconte le périple de deux âmes perdues vers des terres inconnues. Au fur et à mesure que le récit s’installe, on s’attache à ces personnages. Et nous de cerner dans ces chansons bricolées et parfois Lo-Fi une belle parabole sur notre rapport à l’étranger, à celui qui quitte sa terre pour trouver de meilleures conditions de vie dans un El Dorado fantasmé. Olivier Savaresse joue autant avec les mots (et leurs sons) qu’avec le Foutraque. Jamais éloigné d’un geste relevant de l’Art Brut, il semble vouloir affirmer une forme d’incohérence dans les structures de ses morceaux. Cela fourmille d’idées comme un grenier mal rangé où l’on sait que l’on va patiemment découvrir tel ou tel vestige. Ici une complainte folk minimale (Terres Etrangères), là une espèce de retour à une dimension originelle et édénique (Une Femme Ondulait). Et que sans que l’on puisse se l’expliquer, revient à notre mémoire ces images de Paradis : Amour, ce film d’Ulrich Seidl et son hédonisme néo-colonialiste. Pourtant, chez Savaresse, contrairement à Seidl, il n’y a jamais de cruauté ni de cynisme pour ses personnages. Au contraire, au détour de quelques détails mélancoliques, il glisse une pointe d’humour.
Olivier Savaresse, en capricieux ludique, jette des clins d’œil du côté du Gainsbourg de Marilou sous la neige (La Langue). On s’attardera longtemps sur les arrangements discrets mais riches, parfaits contrepoints et compléments à sa langue vaporeuse et énigmatique.
La voix vient du Nombril
A ceux qui doutent de la qualité d’une belle scène française ces temps-çi, qu’il leur soit ici que les artistes hexagonaux ne proposent pas tous cette même soupe de revival Eighties sans saveur. Olivier Savaresse, comme quelques autres, Michel Cloup ou Pascal Bouaziz, malaxe le mot comme une chair dans un Spoken Word à l’os. On pense parfois à l’ex-Diabologum pour ce travail sur les guitares (Où aller). Il faudra savoir le suivre, Olivier Savaresse dans ses méandres et dans cette incohérence comme autant d’expressions des sentiments de son personnage. Il faut impérativement entendre Le Courage des Innocents comme un tout, une entité globale, l’interpréter comme on lit un roman, sans commencer par la fin.
La voix, ainsi pressée, se fait pensée
Olivier Savaresse continue de poser son histoire ponctuée de quelques interludes ici et là (Et ainsi) quand il ne vire pas vers un Funk expérimentalo-seventies, des déflagrations à la Funkadelic (La Voix). Le Courage des Innocents est un disque éminemment politique sans jamais vraiment le dire ni l’appuyer de trop, les propos de Frédéric Taddei posés là comme une défense du droit à s’exprimer en totale liberté et du refus de la censure. C’est aussi un objet spirituel qui ne se prend jamais trop au sérieux dans une posture intellectualiste. Savaresse désarme toujours la complexité par une pointe d’humour, les emprunts volontaires à Lalo Schiffrin et le thème de Mission Impossible (Vers l’infini) ou les guitares moqueuses et divaguantes (L’infini).
Le courage des Innocents, ce nouvel album d’Olivier Savaresse se savoure comme un bon cru, comme un plat relevé qui demande une accommodation, la subtilité d’un parfum qui ne se laisse pas immédiatement saisir. Tout d’abord, il nous saisit puis nous étourdit et lentement, l’ivresse s’estompe et la fragrance se révèle enfin…
Un jour prochain,
Tout ira bien
Aux Hémisphères
Greg Bod
Olivier Savaresse – Le Courage Des Innocents
Sortie le 14 mai 2018
Label : Autoproduction