Retour sur le Fauve polar 2018 d’Angoulême : à la fois parodie grinçante de la vie en entreprise et thriller ébouriffant, le tout servi par des dialogues croustillants. Par un auteur à suivre.
L’histoire se déroule dans une petite entreprise spécialisée dans les broyeuses à papier qui s’apprête à être reprise par un gros concurrent. Un de ses employés, Jean Doux, découvre par hasard une bien mystérieuse disquette. Avec l’aide de deux collègues, celui-ci, en tentant d’en déchiffrer le contenu, va vivre un incroyable jeu de piste qui va lui permettre de découvrir ce qui se cache derrière le rachat de la société Privatek.
Présentée dans un format à l’italienne, Jean Doux et le mystère de la disquette molle se distingue aussi par d’autres aspects, tant graphiques que scénaristiques. Tout d’abord, l’histoire, qui commence dans la PME la plus ennuyeuse qui soit, avec ses employés tout aussi ennuyeux, si bien que certains boulets se sentent investis d’une mission en faisant des blagues douteuses qu’ils croient drôles pour leurs collègues… mais de façon inattendue, tout va s’emballer et prendre la forme d’un thriller haletant, une fois que notre héros, Jean Doux, aura découvert dans le faux plafond d’un débarras une mallette contenant une disquette souple (ou « molle » comme le veut le titre…), relique d’un passé révolu… Armé d’un humour bien déjanté, Philippe Valette en profite au passage pour se moquer allégrement de la vie en entreprise et de cet esprit corporate qui frise souvent le ridicule. Comme pour mieux enfoncer le clou, tout le monde dans la société a un prénom composé commençant par « Jean » (« Jeanne » pour les femmes), jusqu’à un chien prénommé Jean-Iench ! Sans parler des tenues vestimentaires colorées (cravates fluo sur chemises flashy) qui faisaient fureur il y a une vingtaine d’années…
Et c’est cela, l’autre bonne idée, que d’avoir situé l’histoire dans les années 90 en accentuant leur désuétude par un graphisme complètement inspiré des jeux vidéo de l’époque, mais en plus de nous proposer une mise en abyme temporelle via l’apparition de la fameuse disquette (256 kilobits de stockage !) datant de cette préhistoire de l’informatique qu’étaient encore les seventies. On est toujours le ringard de quelqu’un ! Si cet album ravira probablement les geeks de tout poil, et autres pré-nerds qui ont connu ces trente naissantes et non moins glorieuses du personal computer, avec le premier OS Windows et son démineur intégré, il évite toute nostalgie bas de gamme par son humour grinçant, les dialogues resituant clairement sa conception dans nos années 2010.
C’est une BD originale et surprenante, et c’est d’abord ce qu’on demande à une œuvre, mais en plus elle bénéficie d’un scénario cohérent qui ne nous lâche pas, parsemé de punchlines décapantes qu’un certain Michel Audiard n’aurait pas renié. Si Philippe Valette met en avant les progrès technologiques et surtout informatiques jusqu’en 2000, forme d’hommage pourrait-on penser, cet auteur, nouveau-venu dans la bande dessinée, est également un observateur fin et caustique des évolutions du quotidien (notamment des vêtements, de la déco et du mobilier de bureau !). Le dessin n’est pas vraiment joli, mais paradoxalement, ce qui peut être vu plutôt comme un parti pris sert extrêmement bien le propos. En conclusion, notre « Mario Bros de bureau » mérite amplement son Fauve polar décerné cette année à Angoulême.
Jean-Laurent Proudhon
Jean Doux et le mystère de la disquette molle
Scénario & dessin : Philippe Valette
Editeur : Delcourt
Collection : Tapas
300 pages – 29,95 €
Parution : 25 janvier 2017