En guise de troisième long métrage de cinéma, le réalisateur Fabio Mollo, livre avec sincérité un attachant road movie existentiel, qui nous entraîne à suivre les pas du destin de Paolo, jeune trentenaire solitaire employé dans un magasin de meuble de Turin, dont la rencontre inattendue avec Mia, une jeune femme marginale, va bouleverser le schéma inerte de sa vie.
Le cinéaste et scénariste italien remarqué tout d’abord par ses nombreux courts métrages régulièrement récompensés dans les plus grands festivals cinématographiques internationaux (notamment Il Buio en 2005), puis par un convaincant premier long métrage Il sud è niente (2013) et le documentaire choc Vincenzo da Crosia en 2015, revient nous proposer son deuxième film de fiction Le Père d’Italia, sorti dans les salles transalpines depuis l’année dernière.
Une voix d’homme s’immisce dans l’écran noir pour s’adresser à quelqu’un, lui indiquant qu’il y a des rêves qui se réalisent et d’autres dont nous n’avons même pas le courage de rêver, et les premières notes du morceau électro pop Comet de l’artiste LIM précède l’image filtrée en vert d’un homme tête baissée dans les toilettes d’une boîte de nuit, avant de voir celui-ci déambuler dans ce night club où il repère un homme flirter avec un autre, avant de se disputer amoureusement avec lui. Rupture. Dès la première séquence l’ambiance est donnée, la caméra fait connaissance avec Paolo, jeune homme homosexuel sous le signe de la rupture, avant qu’un jeune femme ne chute dans ses bras à l’intérieur d’une dark room, où les corps d’hommes s’étreignent, à la suite d’un malaise. Tel un ange à la crinière de feu, cette jeune femme sans gêne tombée du ciel avec une madone cousue dans le dos de sa veste va faire fondre l’introverti Paolo encore dans le désarroi de sa séparation et tourmenté par des rêves d’une femme lui tournant le dos avant de s’en aller.
La mise en scène dynamique prend corps à suivre ces deux entités vacillantes à travers de multiples péripéties révélant avec subtilité tour à tour la future maternité de la chanteuse rejetée d’un groupe, l’abandon dans un orphelinat par sa mère de Paolo, et autres mésaventures amenant ce duo atypique à entamer une traversée de l’Italie du nord au sud. Sans réfléchir au lendemain, à l’instinct tels deux animaux blessés par les chemins tortueux de la vie, les deux êtres brinquebalants mettent le cap vers le sud à bord de la camionnette utilitaire de livraisons de l’enseigne où travaille Paolo pour retrouver le père de l’enfant qui va naître. De mensonges en déceptions familiales les blessures de ces deux humains au bord du gouffre vont se panser au fil des bornes de manière presque maternelle (chant d’une berceuse avant de dormir ou apprentissage de la nage).
L’éloquence du récit par le biais de cette traversée de l’Italie et que les rencontres s’opèrent dévoile un portrait sociétal de l’Italie, le poids de la religion encore très présent, le questionnement sur l’envie d’enfant de la part de gays s’avère « contre-nature » remis en cause par le gouvernement italien actuel, l’angoisse de sa jeunesse et son peu de perspectives, l’inéluctable besoin de racines et l’envie de paternité (cause principale de la rupture de Paolo terrifié à cette idée qu’aspirait son compagnon). Sans militantisme ni didactisme le réalisateur opère par de brillantes petites touches, livrant même de magnifique scènes atmosphériques envoûtantes comme des bulles d’échappatoires ou cathartiques (vol de la robe de mariée ou chant de Mia divulguant ses souffrances). Alternant les tons avec des séquences tragi-comiques, poétiques où mélodramatiques, le charme de ce découpage habile déclenche de l’empathie pour ses deux anti-héros instables dont leur histoire d’amour imprévue va permettre à Paolo de se projeter pour la première fois à travers un futur, se nommant Italia…
Cette vibrante escapade au montage rythmé séduit par sa splendide photographie, la superbe composition musicale toujours aux bonnes pulsations des vibrations de Paolo et Mia, et nous fait vibrer intimement grâce aux interprétations d’une justesse remarquable. Cette tendre complicité émeut particulièrement par l’implication de l’émouvant Luca Marinelli (Una Questione Privata, Mauvaise graine, On l’appelle Jeeg Robot) bien épaulé par l’extravertie et instable Isabella Ragonese (La Nostra vita) à travers une alchimie crédible de bout en bout illustrée avec précision par des regards appuyés ou d’autres gestes délicats.
Venez découvrir au plus vite ce pudique portrait intime, de cet homme désorienté qui ne pensait pas à l’avenir avant de rencontrer furtivement sur sa route une étoile guidant sa route vers un destin paternel inenvisageable avant. Une intelligente comédie dramatique bien dans l’ère du temps. Mélancolique. Pertinent. Touchant.
Sébastien Boully
Le Père d’Italien
Film italien réalisé par Fabio Mollo
Avec Luca Marinelli, Isabella Ragonese, Anna Ferruzzo
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h32m
Sortie : le 15 août 2018