Dimanche à Rock en Seine 2018 avec IDLES en grande attraction de la journée pour ceux qui aiment encore le Rock, le vrai, le fou… et Jessica93 en solo, surprenant.
IDLES Rock en Seine 2018
Il est 17h30 quand je rejoins le Parc de St Cloud, et le problème de fréquentation annoncé semble se confirmer : les parkings 2 roues à l’approche du site sont presque vides, et il n’y a pas foule à l’entrée du festival…
Devant la scène de la Cascade, il y a heureusement un peu de monde pour la fin du set de Mashrou’Leila, sympathique groupe libanais qui joue un rock mêlé de sonorités folkloriques (cela sonne un peu comme une insulte mais bon…), bien gentil mais assez anodin quand on ne comprend pas, comme moi, les paroles, qui ont la réputation d’être joliment satiriques et ont apparemment causé au groupe des ennuis avec les autorités. Même si le rôle d’un tel groupe est fondamental à l’échelle locale, il n’est pas sûr que la relève globale de la « suprématie blanche » – comme qualifie la mutation actuelle de la musique un ami taquin – vienne de Mashrou’Leila !
IDLES Rock en Seine 2018
Je me place tranquillement au premier rang sur la gauche, préférant éviter le centre, étant donnée la réputation turbulente du groupe et de son public. IDLES, pour ceux qui auraient manqué la sortie l’année dernière de leur stupéfiant album « Brutalism », c’est ce qui se fait de mieux dans le genre punk rock brutal (justement) mais surtout engagé et plein d’humour. A mon sens, l’un des 5 groupes récents qui comptent vraiment aujourd’hui.
18h45 : la joyeuse bande de IDLES – qui nous avaient déjà offert une balance bien allumée – déboule : les deux guitaristes sautent dans tous les sens en produisant déjà le plus de bruit possible avec leurs instruments, le bassiste chauve s’installe derrière son micro où il va pouvoir hurler à son aise, tandis que le batteur perpétuellement joyeux lance la machine. Joe Talbot entre ensuite, avec un air sérieux plutôt trompeur, vu ce qui va suivre… IDLES démarre sur Heel / Heal, et pour moi qui les voit pour la première fois sur scène, il est clair que la musique est beaucoup moins fidèle aux canons du punk rock 77 que l’album pouvait le laissait croire, et qu’on est plutôt dans une version moins psychédélique et plus british des Black Lips : les guitaristes passent tellement de temps à s’éclater que les riffs sont parfois approximatifs, et Talbot nous fait un festival de crachats à la verticale qui démontre sa grande pratique de ce sport extrême. Bref, si l’on ajoute un niveau sonore une fois encore nettement insuffisant et l’effet distanciant d’une scène séparant le groupe de son public à l’aide d’une large fosse, il n’y a pas cet après-midi l’effet espéré d’une vague de fureur brute comme sur l’album…
Non, un peu comme les Black Lips justement, c’est sur la distance que IDLES va s’avérer remarquable. D’abord grâce à un niveau d’énergie incroyable qui ne va pas se relâcher une heure durant, ensuite par la confirmation de la qualité de ses compositions – les nouveaux titres du futur album « Joy as an Act of Resistance » accrochent dès la première écoute -, et enfin par le charisme dégagé par Talbot, frontman tour à tour enragé et débonnaire, doté d’un humour impayable équilibrant judicieusement les pamphlets politiques du groupe : un régal !
Des phrases comme : « I can’t speak French ’cause I’m an idiot ! » (Hein, Liam ?), alors même qu’il s’exprimera bravement dans notre langue chaque fois qu’il le pourra, ou bien encore « J’admire les migrants qui viennent commencer une nouvelle vie sur notre île de merde ! », ça vous pose un mec, non ? Mais c’est quand il plante son regard clair, amical et ironique, dans le vôtre que le courant passe vraiment et que vous comprenez : IDLES n’est pas un monstre de violence, c’est une machine humaine à distribuer de la joie tout en faisant cogiter.
Au milieu du public – les prises de vues aériennes nous le montrent – un beau circle pit tourbillonnant s’est formé (un chaos que Talbot essaiera plus tard d’organiser…), mais la folie ne gagnera malheureusement jamais la totalité des spectateurs. Pourtant, les musiciens ne ménagent pas leur peine pour entraîner le public dans leur délire, descendant dans la fosse (une fois même avec une cymbale sur pied !) et allant surfer plusieurs fois sur la foule : le point culminant de la fête sera quand les deux guitaristes nous offriront un festival de solos au-dessus de nos têtes, dans l’hilarité générale. A la fin, le groupe fera monter sur scène deux spectateurs qu’on armera de guitares pour suppléer aux musiciens qui s’amusent trop pour jouer (je n’oublierai pas de sitôt les « I can’t play » un tantinet paniqué de l’un des deux cobayes… qui ne s’en sortira en fait pas si mal dans le bordel général…). Et puis, avant de quitter la scène, Talbot fera le tour en trimbalant sous son bras un gamin blond qui s’était distingué backstage par son enthousiasme à mimer les moulinets du batteur. Bref, IDLES nous en aura mis plein les yeux et plein le cœur, en plus des oreilles.
Le set, qui aura bien sûr aligné un assaut contre la masculinité (Samaritans), un pamphlet pour la défense du système de santé britannique en danger (Divide & Conquer) et un autre brocardant les drogues (Benzocaine), se termine brillamment par un Well Doneirrésistible (« Why don’t you get a job? / … / Even Mary Berry’s got a job / Why don’t you get a job ? / WellDone ! ») et une scénette comique sur une citation de All I Want For Christmas, avant le chaos final de Rottweiler. Et nous laisse avec un goût de trop peu… que nous pourrons rattraper le 3 décembre prochain au Bataclan : le rendez-vous est pris.
Il est 19h50, je sprinte vers la Scène de l’Industrie, heureusement proche, pour ne pas manquer le set de nos amis bruitistes de Jessica93 qui débute dans 5 minutes, mais quand je tourne le coin de la scène, une surprise m’attend…
Jessica93 Rock en Seine 2018
.. car Geoffroy Laporte est seul sur la petite scène ! A-t-il mis fin à son groupe – ce qui serait dommage vu la réputation croissante de Jessica93 ? Ou bien s’agit-il d’une offre décalée spéciale pour RES, ce qui ne serait pas surprenant de la part d’un grand plaisantin comme Geoffroy ?
En tous cas, il a son habituel look de SDF psychopathe, avec cette fois un t-shirt rouge vantant les charmes de la Russie du plus bel effet… Et il va nous offrir à lui seul un envoûtant tourbillon sonore, à mi-chemin entre Cure et My Bloody Valentine, qui triomphera vite de nos doutes, pour décoller finalement dans un sublime déluge de guitare. Il procède à chaque fois de la manière suivante : sur un beat pré-enregistré, il joue la partie de guitare ou bien de basse qui servira de colonne vertébrale au morceau, puis une fois la boucle créée, il s’empare de l’autre instrument, basse ou guitare, pour interpréter la chanson et chanter. Effet hypnotique garanti, et ce d’autant plus que le son est pour une fois impeccable, très fort et très riche : un véritable plaisir pour les oreilles et pour le cerveau. Fermons les yeux et, même si reconnaître les morceaux ainsi interprétés relève de la gageure, laissons-nous emporter 50 minutes durant par ce torrent électrique : un véritable cadeau pour ceux qui aiment encore le son des guitares…
Nous ne sommes malheureusement pas très nombreux devant la Scène de l’Industrie à jouir de ce beau moment musical et à acclamer Geoffroy à la fin de son set… Une désaffection un peu triste illustrant l’échec de cette édition maudite de Rock en Seine.
Nous nous dirigeons vers la sortie à travers des stands quasi déserts, sous un ciel désormais bien gris. Avec les problèmes financiers probables qui se profilent pour les organisateurs de Rock en Seine, à quoi devons-nous nous attendre pour l’année prochaine ? »
Textes et photos Eric Debarnot
Les musiciens de IDLES sur scène :
Joe Talbot – voix, guitare
Adam Devonshire – basse
Mark Bowen – guitare
Lee Kiernan – guitare
Jon Beavis – batterie
La setlist du concert de IDLES :
Heel/Heal (Brutalism – 2017)
Faith in the City (Brutalism – 2017)
Mother (Brutalism – 2017)
Danny Nedelko (Joy as an Act of Resistance – 2018)
1049 Gotho (Brutalism – 2017)
Samaritans (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Divide & Conquer (Brutalism – 2017)
White Privilege (Brutalism – 2017) (Crowd-surfing Bowen sings ‘Working My Way Back To You’)
Benzocaine (Brutalism – 2017)
Love Song (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Exeter (Brutalism – 2017)
Well Done (Brutalism – 2017) (Followed by a capella snippet ‘All I Want For Christmas’)
Rottweiler (Joy as an Act of Resistance – 2018)