« Folk et constant » est la meilleure manière de décrire le retour du duo de Brooklyn, pour un troisième album qui, malgré son uniformité, amène un peu de torpeur au milieu de l’été. Et ils parviennent à rendre l’auditeur triste, les bougres.
Credit photo : Charlotte de Mezamat
Zoe Randell et Steve Hassett sont australiens, installés dans l’antichambre de la musique hype et parfois surévaluée : Brooklyn. Depuis les US et un second album Passerby largement encensé par le groupe régional : The National, – Aaron Dessner produit d’ailleurs l’album du duo –, ils ont acquis une petite réputation pour la pratique folk façon Mazzy Star ou une sorte de version contemporaine de Nico.
Sorti au beau milieu d’un été français caniculaire, Sculptor ,leur nouveau disque, reprend l’essentiel du cahier des charges qu’ils déroulent depuis la création du groupe en 2008 : des chansons éthérées, folk dans l’esprit, très largement mélancoliques et portées majoritairement par la voix de Rendell. Or, dévoiler une mélancolie au milieu de la canicule c’est un peu comme un rapport alarmant du GIEC qui tomberait en plein pendant les vacances à la plage ou un Nicolas Hulot qui claquerait la porte du gouvernement avant la rentrée : une énorme tristesse qui pointe sous un vernis pourtant lumineux.
Du coup, hasard du calendrier, pourtant résolument vers le rosé et les chips, tout en matant vos Instagram de bord de mer grecque, sculptor de Luluc m’a cueilli début août ; avec une efficacité étonnante pour un album que je décrirais pourtant encore à l’heure d’écrire ces lignes de : “trop largement uniforme”. Randell et Hassett y élargissent cependant la palette instrumentale de leur folk désormais signature. Les guitares sont parfois acoustiques, parfois électriques, il y a de subreptices solos (pourquoi s’en priver quand c’est J. Mascis qui vient les jouer), un soupçon de name dropping des potes de The National, ou de The Dirty three qui y font une apparition. Il y a des carillons, du cor et de l’orgue Hammond, toujours placés dans le mix sous la voix de Randell, medium grave, qui assure le service de guide pour ce voyage onirique. Une même logique de fonctionnement mais un son un peu plus ample que par le passé.
Tout ceci concourt à ce genre d’albums souvent un peu trop encensé par la critique pour être tout à fait indispensable, même si on n’ose pas vraiment se l’avouer : un peu trop stylé pour être intéressant, un peu trop surfait ou survendu pour s’installer dans la durée. En France, ce serait un album de Lou Doillon quoi (rire narquois). Le genre que j’aime habituellement dégonfler un peu en chronique. Oui mais, je me surprends, depuis qu’il m’accompagne début du mois d’août, à y revenir quand j’ai envie de me complaire dans un antilogique spleen estival, quand j’ai envie de ruminer des idées sombres en me roulant dans les maigres nuages des vacances. C’est sans doute la meilleure preuve de fonctionnement de sa mécanique. Je me laisse emporter par l’unité de ton de Sculptor, par les volutes medium et graves de la voix de son interprète. Je me complais dans une apaisante tristesse, un casque vissé sur les oreilles. Difficile dans ces conditions de me mettre à dézinguer un album qui réussit à s’imposer dans ma playlist pléthorique. Il me faut même reconnaître qu’il atteint parfaitement l’objectif qu’il semble viser. Arracher une larmichette à l’auditeur façon lac de Lamartine.
Aurais-je envie d’un nouvel album ensuite, encore à ce point uniforme? Aurais-je autant de clémence la prochaine fois pour un quatrième album dont la plupart des mélodies pourtant bien construites, ne restent pas longtemps en tête ? Rien n’est moins sûr. Sculptor arrive en France au bon moment pour attirer l’oreille des critiques estivaux cueillis en plein ébahissement vacancier, pour mieux ensuite le recouvrir à l’aquarelle gris . Preuve que la réussite en pop est une affaire de technique musicale, d’émotion, et surtout de temporalité. J’espère que si tu lis cette critique, lecteur, au mois d’octobre, tu ne seras pas trop déçu de mon parti pris.
Sinon, tu reprendras bien une tasse de thé aux larmes en prévision de la rentrée ?
Denis Verloes
Luluc – Sculptor
Label : Sub Pop / Pias
Date de sortie : 13 juillet 2018