Dans un style détonant, Mathilde-Marie de Malfilâtre offre un premier roman trépidant et haletant qui interpelle et fait vibrer. Jolie découverte… voire même révélation de l’automne !
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Luna de Pâris c’est comme ça qu’on l’appelle dans les grandes sauteries des bobos parisiens friqués, la fourgueuse de la meilleure herbe et de bien d‘autres choses encore, l’aphrodite des partouzes les plus huppées, l’égérie des junkies les plus décrépis. L’Alice au pays des merveilles artificielles, des paradis factices, le petite fliquette qui est passée de l’autre côté du miroir. « C’est l’ironie du sort. D’être flic et de tomber amoureuse d’un voyou. Celui-là même que l’on devait traquer. Je suis bel et bien en train de basculer de l’autre côté du miroir. »
Avant de devenir Luna, elle était la fille d’une famille de petits nobliaux normands désargentés depuis longtemps, elle voulait, par tradition familiale, sauver la patrie en s’engageant dans les services secrets. « On m’appelle lieutenante, et j’occupe le poste d’analyste politique et rédactrice au bureau de la lutte antiterro. ». Mais, il peut arriver que Diane tombe amoureuse du beau cerf et celle qui n’était pas encore Luna, simplement un petite fliquette promise à un bel avenir, tombe amoureuse d’un dealer de haut vol, rejeton de l’aristocratie italienne en train de paumer les thunes qui lui restent. Prince la drague, commercial de pointe en matière de drogue, il ne met pas longtemps à enflammer les jupons de la belle en uniforme.
Leur association débouche vite sur la grande et belle idée qui a germé dans tant de têtes enfiévrées par un quelconque psychotrope : et si on vendait de la drogue aux autres ? Le Détroit de Gibraltar, Rubicon du hachis, est vite franchi, le trafic est sécurisé à l’intérieur même de la caserne de la rue de Babylone, là où bosse la belle dealeuse. « Babylone Express », devient vite rentable, très rentable, à tel point que la petite lieutenante abandonne le job qu’elle détestait de plus en plus, moins le job que les collègues. Elle ne croit plus en sa mission, elle pense que ceux qui ont le pouvoir sont tous pourris. « Parfois, je me demande si l’Etat, ce n’est pas le crime organisé légalisé. Et puis je ne crois pas aux révolutions, la nature de l’homme, elle, reste ce qu’elle est. Le pouvoir ça pourrit tout. »
Elle s’était juré de ne pas franchir certaines limites, de ne pas toucher à certains produits, même si elle les vendait elle-même, de limiter sa consommation, de ne pas baiser avec n’importe qui, mais la drogue c’est comme le jeu, fait pour risquer toujours plus, aller toujours plus loin. Et, après des folles années de fêtes enflammées à Paris, à Marakech, à Berlin, à Amsterdam…, de délires hallucinés, de frissons de la peur de se faire prendre, les premiers signes de la désescalade se manifestent et l’atterrissage n’est pas forcément celui qu’elle a prévu.
Ce texte trépidant, speed, écrit comme à la Kalachnikov, dans un vocabulaire très contemporain, populaire, jeune mais jeune très branché dans le milieu des stups, un langage qu’il faut parfois décoder mais un langage qui entraîne le lecteur dans la vitesse de son écriture et dans le vol plané de l’auteure sur les ailles de ses hallucinations. La jeune fille de bonne famille, qu’elle pense toujours être restée, explique comment elle est passée du rôle de chasseresse à celui de gibier. Elle n’est pas née dans le monde qu’elle aurait souhaité habiter, elle n’a même plus l’espoir qu’avait des rebelles nés avant elle. « J’aime beaucoup les auteurs de la Beat Generation, d’ailleurs. Eux, ils avaient du taf, le sexe libre et les acides de la Madone. De quoi être béat, en effet. Nous on a le sida, le RSA et des profs de merde. On est la Shit Generation.». Alors la meilleure solution c’est l’évasion, l’envol vers un autre monde sur les ailes des délires artificiels.
Et malgré cette descente infernale dans la spirale de la drogue et de tout ce qui l’entoure, ces jeunes donnent des conseils aux citoyens pour qu’ils contribuent à ce que le monde tourne mieux. C’est très étonnant d’entendre ceux qui vendent les produits parmi les plus toxiques de la planète, faire l’apologie du bio, du vegan, et de toutes les manières de s’alimenter pour conserver la meilleure santé possible. La drogue ça conduit à bien des excès, y compris de langage ! Je ne connais pas cette jeune auteure, je ne sais pas si elle a conservé son job, je sais seulement qu’elle a écrit un livre qui interpelle et fait vibrer, mais j’ai l’impression que dans ce livre, elle a mis pas mal de provocation pour démontrer que la drogue n’est pas une solution même si on peut le laisser penser après un usage à très court terme.
J’ai retenu cette interpellation très violente qui démontrent bien le désespoir dans lequel vit une partie de notre jeunesse, celle qui est tentée par les abus en tout genre et l’évasion vers les substances hallucinogènes, cette invitation, cette injonction adressée aux citoyens pour qu’ils prennent leur sort en main et cesse de s’abandonner au désir et bon vouloir des faiseurs de fric et obsédés du pouvoir. « N’oublie jamais que c’est toi qui as le pouvoir de faire changer les choses. Oui, toi, connard. Par chacun de tes actes, de tes choix et de tes achats, tu peux faire de ce monde autre chose que ce qu’il est. Alors réveille-toi gentiment, hein, ducon ». Oui, Mathilde-Marie, sur cette voie, je te suivrai !
Denis Billamboz
Babylone Express
Roman français de Mathilde-Marie de Malfilâtre
Editeur : Le Dilettante
256 pages – 18,00 €
Date de parution : 22 août 2018