[Live report] Oh Sees à La Cigale : à fond les gamelles !

Sans surprise pour les initiés, les américains de Oh Sees ont encore prouvé à la Cigale qu’il sont les rois pour mettre le feu à une salle de concert.

 

Dans notre monde musical chaque jour plus fragmenté et marginalisé, il y a quand même une tendance forte qui s’est dessinée ces 5 dernières années, c’est l’émergence d’un nouveau psychédélisme, s’abreuvant aux riches sources du passé – de la pure pop psyché au psychédélisme « lourd », tendance garage. Un genre musical redevenu pertinent dans un monde de plus en plus antipathique, voire invivable. Un monde auquel on préfère la transe hallucinée, l’énergie folle et tourbillonnante s’alimentant tout autant dans les drogues que dans la pure virtuosité musicale : du nouveau garage au progressif en passant par l’enchantement mélodique, il y en a pour tous les goûts. Paris a donc désormais sa Psych Fest, étalée sur plusieurs jours et plusieurs salles, pour capturer tous ces talents naissants ou établis, et tous les micro-publics les suivant… Ce soir, à la Cigale, l’un des musiciens phare de la scène psyché californienne, John Dwyer et ses Oh Sees. Un John Dwyer qu’on découvre pour la première fois sans ses éternels shorts, mais en jeans, entrant et sortant de la salle. Une métamorphose ?

19h00 : premier groupe, Prettiest Eyes, trio peu conventionnel composé d’une basse, d’une batterie et de claviers / bidouillages électroniques divers. Le batteur souriant au faux look de John Leguizamo chante, le bassiste est un géant barbu couronné d’un Stetson, et les claviers sont tenus par un grand escogriffe oscillant en permanence. La musique n’est pas si psychédélique que ça, à mon avis du moins, mais plutôt punk : avec une rythmique robotique, un chant aigu qui rappelle par instants Devo, et une basse omniprésente, la musique de Prettiest Eyes est intéressante, portée par une sorte de tension nerveuse originale, avec peut-être des réminiscences de ce que faisait Suicide par exemple. Malheureusement, les morceaux ne semblent pas particulièrement brillants et empêchent le décollage qui est pourtant à la portée du groupe, en particulier quand Pachy Garcia, le chanteur, abandonne sa batterie, monte sur son siège et nous offre une chanson un peu plus catchy. Bref, même si Prettiest Eyes n’ont pas inventé la poudre, ils savent la manier avec une vraie élégance, et une belle conviction qui fait la différence. Les 40 minutes qui leur sont imparties passent donc vraiment agréablement…

 Male Gaze Cigale

Ce qui ne sera pas le cas avec le groupe suivant, les médiocres Male Gaze. Un power trio des plus banals qui jouent du rock de coloration post-punk passe-partout avec certes un peu d’énergie… mais le manque d’idées, de chansons, de talent est si flagrant qu’un ennui pesant s’installe peu à peu (bon, dans la Cigale désormais pleine, certains aiment visiblement : c’est leur droit le plus strict). Le chanteur hoquette derrière ses lunettes noires comme s’il chantait du bon vieux rockabilly, le bassiste est resté fixé sur AC/DC : malgré une certaine énergie, il ne se passe strictement rien sur scène. Et ça dure 45 minutes. Et cela fait 45 ans au moins que j’écoute du Rock : tout ça pour en arriver là, à ce surplace créatif total ! Bon, la dernière chanson, avec une once de psychédélisme (pour justifier l’affiche ?) sera un peu plus lourde et un plus consistante. Juste pour dire.

Thee Oh Sees à la Cigale

Tout va bien : John Dwyer a remis son short ! Les deux batteries sont installées côte à côte au ras de la scène – bonjour les spectateurs du premier rang s’ils n’étaient pas prévenus ! John est toujours sur la droite, tout va bien pour les gens avisés comme nous qui sommes sur la coursive de gauche. On est prêts, John !

21h10 : Après un petit échauffement qui permet de se préparer psychologiquement à l’assaut sonique qui va suivre, et alors que le public entre dans le genre d’état d’ébullition qui annonce les concerts chauds, très chauds, John Dwyer lance ses Oh Sees :
J’avais eu quelques craintes devant le nouvel album, « Smote Reverser », que je trouvais un peu trop bien poli, un poil trop jazz rock d’un côté et prog metal de l’autre, et ces craintes se dissipent en moins de 10 secondes quand j’entends la musique furieuse que déverse le quatuor sur la Cigale qui ne demandait que ça ! Le pogo est quasi général dans la fosse – au moins dans la première moitié devant la scène -, les slammers (dont pas mal de jeunes filles, il faut le souligner…) se lancent immédiatement à l’assaut, et ne faibliront pas durant les quatre-vingt minutes qui vont suivre, et la totalité des visages sont illuminés d’un grand sourire. La magie du rock’n’roll quand il est joué avec conviction et compétence, mon ami !

Dès la troisième chanson, que j’ai un peu de mal à reconnaître, étant un adepte des Oh Sees (ou Thee Oh Sees… mais on s’en fout, non ?) depuis moins de trois ans, il est évident que nous sommes partis pour une belle soirée de délire, bien supérieure au set que Dwyer avait offert avec la même équipe – juste un changement de l’un des batteurs – au même endroit il y a deux ans presque exactement. Parlons-en de l’équipe, justement : le discret Tim Hellman, au look juvénile, est avec sa basse le châssis robuste sur laquelle le véhicule est construit, tandis que les deux batteurs, qui nous offriront un festival de puissance tout au long de la soirée, en sont le moteur turbopropulsé. Par là-dessus, le pilote, le boss en fait, qui visiblement mène sa petite troupe à la baguette, peut se laisser aller à ses solos virtuoses, de plus en plus flamboyants, ou occasionnellement à des bidouillages électroniques sur le matériel qui est derrière lui. John chante avec cette voix haute charmante qu’on lui connaît, et passe son temps à faire ses fameuses grimaces excessives qui déforment son visage de manière hilarante, ou bien ses pas de danse gigantesques. Avec son éternelle et unique guitare transparente toujours maintenue très haut sur sa poitrine, ses tatouages et son short (bien sûr !), il a un look bien à lui !

Le concert va en fait se dérouler de manière similaire à celui de 2016, mais sera cette fois une réussite totale, sans les petits problèmes techniques qui nous avaient gâché le plaisir et avaient interrompu la fête, et avec un niveau sonore de la guitare parfaitement satisfaisant – acouphènes garantis le lendemain matin ! Si les passages plus atmosphériques permettent au spectateur épuisé de prendre un peu de repos, et de se laisser aller dans une transe bienheureuse, ce sont évidemment les explosions répétées de la guitare, qui déverse sa lave brûlante sur les pogos déjà bien agités et qui relance la frénésie générale, qui élèvent le concert vers les sommets du genre. Les habitués hochent la tête d’un air entendu : Oh Sees, c’est ça, le plaisir des sens garantis, une vraie générosité dans la manière de vous exploser la tête et de vous transformer en machine à danser, ou, selon votre âge, à osciller sur place sans pouvoir vous en empêcher !

Au milieu de cette fête ininterrompue, Sentient Oona s’intègre parfaitement bien, confirmant la cohérence profonde du travail de John Dwyer à travers les différents genres qu’il explore, mais ce sera, sans surprise, la brutalité purement garage du jouissif I Come from the Mountain qui constituera – au moins pour moi – le moment le plus formidablement dévastateur de la soirée.

Il est 22h30 seulement quand Oh Sees quittent la scène, et nous les aurions bien gardés avec nous plus longtemps, mais il faut admettre qu’une heure vingt à cette allure, c’est bien plus que la majorité des groupes nous offrent en live, non ?

En tout cas, je pense que tous ceux qui quittent la Cigale ont chaud au cœur (en plus de mal aux jambes et aux oreilles…) en sachant qu’un tel groupe existe, et reviendra encore longtemps – on le souhaite – nous apporter un tel bonheur. Thank you, John !

Texte et photos : Eric Debarnot

Les musiciens de Prettiest Eyes sur scène :
Pachy García – Drums & Vocals
Paco Casanova – Keyboards & Electronics
Marcos Rodríguez – Bass

Les musiciens de Oh Sees :
John Dwyer – chant, guitare
Tim Hellman – basse
Dan Rincon – batterie
Paul Quattrone – batterie