Wenshui, une petite chinoise à la rue se retrouve dans un centre d’accueil où les mères-porteuses sont traitées comme des détenues. Sheng Keyi signe un texte plein de tendresse et de douceur pour évoquer des choses très dures.
Credit photo : Dirk Skiba
Elle n’est pas tout là Wenshui, Pêche pour ses collègues, 168 pour l’administration de l’établissement où elle a été recueillie, elle est un peu simplette, son monde se résume à sa mère disparue, son enfance, les loubards qui l’ont maltraitée et les petits animaux, les oiseaux, les papillons, surtout son petit chien Mascotte le seul être pour lequel elle éprouve un peu de tendresse. Elle n’a pas eu beaucoup de chance, elle se retrouve vite seule après le décès de sa mère, elle vit dans un coin de remise où les loubards, profitant de son esprit simplet, la violentent sans vergogne et la violent si bien qu’elle se retrouve enceinte. Anéantie, sale, hébétée, elle est conduite dans le centre de Monsieur Niu, un type sans scrupule qui a fondé un établissement où les mères porteuses sont accueillies le temps de leur grossesse et de leur accouchement, le temps pour Monsieur Niu de vendre leur enfant, leur « produit », à une famille ayant les moyens d’en acheter un. Il y a, selon le marchand de bébés, un marché pour ce type de « produit ». On veut bien le croire, la politique de l’enfant unique a certainement dopé ce « marché » car lorsque celui-ci disparaît la mère est souvent trop âgée pour pourvoir à son remplacement.
Le centre créé par Monsieur Niu est un véritable camp de détention où les filles sont confinées jusqu’à ce que leur enfant soit remis à la famille acquéreuse. Le règlement est très sévère et les punitions pleuvent sous forme d’amendes notamment. Wenshui, Pêche, raconte avec ses mots la vie dans ce centre, les filles qui se rebiffent, les filles qui collaborent, les filles qui se laissent séduire, les filles qui séduisent, … Elle raconte ce qu’elle voit avec son regard d’enfant qui n’a pas grandi, ce qu’elle comprend avec sa candeur naïve. Elle subit, elle ne demande rien, ne se rebelle pas, elle sera selon Monsieur Niu, une bonne productrice qui ne pose pas de questions, car elle a une bonne santé. Avec ce regard naïf, l’auteure évoque le problème des mère porteuse, la cupidité du fondateur, la douleur de certaines filles, la perversité d’autres, l’immoralité du système, mais aussi la solidarité et la compassion qui peuvent exister entre les filles.
Ce texte, bien qu’il évoque un sujet particulièrement douloureux, déborde d’une grande poésie, il est empreint d’une tendre douceur et de beaucoup de tendresse. C’est un excellent document littéraire, l’auteure manie avec une grande virtuosité la candeur et la simplicité de l’héroïne pour dire de façon imagée ce qu’elle sait des femmes qui se livrent à ce commerce et de ceux qui en profitent éhontément. Elle ne les juge jamais, elle expose des situations choisies ou subies pour montrer les différentes facettes du problème en laissant le lecteur apprécier. Sheng Keyi est certainement une des belles plumes de la nouvelle littérature chinoise plus ouverte sur le monde occidental même, si personnellement, j’ai troué dans ce texte un ton et une forme qui ne renient en rien la littérature traditionnelle de l’Empire du milieu.
Les très jolies aquarelles que Sheng Keyi a peintes elle-même pour illustrer la version française de ce roman, démontrent, elles aussi sa grande sensibilité et la grande délicatesse des diverses facettes de son art.
Denis Billamboz
Un Paradis
Roman chinois de Keyi SHENG
Traduction : Brigitte DUZAN
Editions Philippe Picquier
176 pages – 17€
Date de parution : septembre 2018