Bien que publié l’an dernier, on ne pouvait pas se permettre de faire l’impasse sur ce beau roman graphique de Bastien Vivès qui dépeint avec une grande justesse le passage à l’âge adulte.
C’est le début des grandes vacances pour Antoine, à l’aube de l’adolescence. Cette année encore, il les passera avec ses parents et son petit frère Titi dans la maison familiale en Bretagne. Le jeune garçon tente de cacher son spleen derrière son carnet de croquis. Mais la rencontre avec Hélène, la fille d’une amie de ses parents, va faire prendre à ses vacances une tournure extraordinaire, avec la découverte de l’amour et la perte d’une certaine innocence.
Le thème des premières amours dans le cadre des vacances familiales à Chmolduc-Plage est un sujet rebattu mille fois, le plus souvent au cinéma. Pourtant, à chaque fois, il y a toujours ce je-ne-sais-quoi d’irrésistiblement charmant, même lorsque le scénario ne vole pas bien haut, comme un goût de Madeleine de Proust sans doute. Bastien Vivès s’est-il replongé dans ses souvenirs – le jeune héros étant la plupart du temps affairé à griffonner dans son carnet de croquis – pour nous livrer cette histoire ? Dans Une sœur, non seulement on retrouve tout cela, mais en plus, l’auteur parvient à susciter une belle émotion, évitant de tomber dans le romantisme teenager un peu niais. Vivès y a mis beaucoup de sensibilité et de tendresse, montrant davantage par son dessin épuré les corps, les gestes et les postures, que les regards, les yeux n’étant représentés que lorsqu’ils ont quelque chose à exprimer. Par exemple, l’insondable mélancolie adolescente d’Antoine.
C’est donc dès le moment où il fait connaissance avec Hélène, jolie jeune fille de deux ans son aînée, que l’adolescent va peu à peu s’éveiller à la sensualité et au langage du corps. Entre cette dernière et lui-même va s’instaurer une intimité particulière, du fait d’une certaine ressemblance physique et de la timidité d’Antoine, dont la sensibilité à fleur de peau et l’aspect frêle en font presque un être androgyne. Les rôles vont alors en quelque sorte s’inverser. Hélène, intriguée et touchée par cette singularité, rare chez les garçons du même âge qui souvent préfèrent jouer les coqs, va prendre les commandes et l’accompagner de façon troublante, telle une grande sœur un peu incestueuse, vers les choses de l’amour. A ce « petit frère » lunaire et rêveur, elle fera un double cadeau. L’un marquera Antoine pour la vie, celui qu’elle n’aura jamais fait à tous les petits frimeurs qui lui tournaient autour et dont l’arrogance leur coûtera la vie… L’autre sera de sauver celle du jeune garçon, justement en lui interdisant de les suivre en traversant la baie à la nage…
La façon dont Bastien Vivès amène son sujet est d’une intelligence rare et tout en retenue. Sans verbiage inutile, l’émotion, toujours suggérée, n’en est que plus forte. L’auteur, disposant de cette capacité à ne garder que l’essentiel, fait véritablement figure de dessinateur des sentiments et des émotions. Et nous offre ainsi une histoire que l’on quitte à regret, un peu comme l’amour de vacances à qui l’on dut dire adieu quand on était ado…
Laurent Proudhon
Une sœur
Scénario & dessin : Bastien Vivès
Editeur : Casterman
216 pages – 20 €
Parution : 3 mai 2017