Kivu, travail ambitieux de Van Hamme et Simon, est une BD importante sur l’horreur africaine, dont on ne peut qu’espérer qu’elle contribue à notre prise de conscience à tous…
L’état du continent africain, et particulièrement des pays qui ont le malheur – paradoxal – d’abriter des réserves de minerais rares, est tel qu’il devrait susciter à travers le monde indignation et révolte… voire un fort sentiment de culpabilité si l’on considère que la source de bien de ces maux est la nécessité (?) de satisfaire nos besoins de sociétés « développées ». La rapacité des gouvernants et l’inhumanité des multinationales se conjuguent avec les haines tribales ancestrales, qu’elles caressent dans le sens du poil, pour créer un véritable enfer sur terre : massacres, tortures, viols, tel est le lot quotidien des populations souvent affamées, qui ne survivent plus qu’avec la plus grande difficulté. Un sujet en or pour qui voudrait éveiller les consciences, tant la réalité africaine est riche en fictions sidérantes. Un sujet pourtant rarement traité, que ce soit par le cinéma commercial (on se souvient quand même d’un Blood Diamond, maladroit mais pertinent) ou par la BD, alors que les livres « traditionnels » ne manquent pas mais sont peu lus par le grand public…
Le vétéran Van Hamme s’attaque donc courageusement à la tragédie du Kivu, région de la RDC emportée par la vague d’horreur rwandaise et dépecée par les rapaces s’enrichissant grâce au Coltan, minerai apparemment indispensable à nos précieux smartphones. Entre une approche « documentaire » consacrée largement au travail extraordinaire du Docteur Mukwege et de son équipe, restaurant dans des conditions de sécurité précaires l’intégrité des femmes victimes de violences et de viols, et une fiction haletante nourrie de l’habituel – et désespérant – cocktail de mercenaires cyniques, de gouvernants corrompus, de militaires assoiffés de sang et de victimes brisées, Van Hamme a choisi de ne pas choisir, et c’est à la fois l’intérêt de sa démarche, et la limite de Kivu. Si Van Hamme reste très fort pour résumer en quelques planches une situation géopolitique complexe – regardez par exemple les planches 12 et 13 -, il a quand même du mal à intégrer la passionnante découverte de la clinique Panzi dans un récit qui reste quand même fort classique. Plus gênant peut-être, la volonté de terminer ce récit éprouvant de bruit et de fureur sur une note positive, quand même fort improbable, oblige Van Hamme à recourir au truc facile d’un Deus Ex-Machina en la personne d’une sorte de Rambo local dont les talents et l’invincibilité minent quand même la crédibilité du récit.
Un autre paradoxe, celui-là assez passionnant, de Kivu est d’avoir confié le dessin à Christophe Simon, talentueux héritier d’un style de BD franco-belge traditionnel, qui confère au récit une lisibilité et une atmosphère un peu enfantine qui tranchent avec l’horreur des scènes dessinées. Simon est d’ailleurs allé préparer son travail en visitant les lieux mêmes du drame, une visite que l’on imagine traumatisante, et le sérieux de son approche est partout visible dans l’album, rattrapant les petites facilités du scénario.
Même légèrement imparfait, Kivu est une bande dessinée importante, et une expérience de lecture qui est tout sauf anodine, et on ne peut que lui souhaiter un large succès populaire, pour que le travail de Van Hamme et Simon contribue à lever un peu le voile sur l’horreur.
Eric Debarnot
Kivu
Dessin : Christophe Simon
Scénario : jean Van Hamme
Editeur : Le Lombard
Date de sortie : 14 septembre 2018
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