[Live report] Okkervil River au Point Ephémère

Dans un Point Ephémère rempli par les fans d’Okkervil River, Will Sheff proposait ce lundi 1er octobre 2018 une nouvelle version de son groupe pour une soirée assez jubilatoire.

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On ne peut décidemment pas dire que la popularité de Will Sheff en France suive une courbe ascendante : presque 20 ans après sa formation et juste après la publication de son album le plus « commercial », nous retrouvons son Okkervil River dans la petite salle du Point Éphémère… vite remplie néanmoins par les mêmes passionnés qui lui avaient fait un triomphe lors de sa mémorable prestation au Petit Bain. Bon, après tout, ce genre de sensation d’être « entre nous », entre gens « qui savent », dans une sorte de bulle en dehors des modes, n’est pas si désagréable.

20h15 : Star Rover, un duo de Brooklyn, nous surprend un peu en démarrant son set 15 minutes avant l’heure annoncée, mais c’est plutôt une bonne surprise.

Un batteur (Jeremy Gustin) et un guitariste (Will Graefe) qui nous offrent une belle musique quasiment instrumentale (même si quelques vocaux éthérés viennent flotter de temps en temps par là-dessus…). Le son de la guitare est trafiqué au point d’en être méconnaissable, créant une atmosphère que l’on pourrait presque qualifier d’aquatique. Des morceaux plutôt calmes, malgré l’inventivité d’un batteur virtuose, construits sur des arpèges plus classiques que rock. Une manière légère, jazzy sur les bords, de faire une musique progressive qui n’aurait pas oublié l’héritage pop des Beach Boys. C’est charmant, presque envoûtant. Et puis au bout de 20 minutes, un superbe morceau plus bruitiste, qui montre que Star Rover a plus d’une corde à son arc avant-gardiste et gagnerait sans doute à développer d’autres ambiances. Finalement, une très jolie demi-heure de musique plus ambitieuse qu’il n’y paraît au premier abord.

21h15 : Okkervil River en 2018, c’est – évidemment – Will Sheff, entouré par un tout nouveau combo – complètement renouvelé par rapport au groupe qui nous avait offert des sensations aussi fortes il y a deux ans déjà.

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Sans m’attarder sur le look John Lennon circa 70 désormais adopté par Will Sheff, qui porte son éternel costard – chemise, je suis surpris de découvrir que les deux musiciens de Star Rover ont désormais rejoint le groupe : en fait, Will Graefe a fait partie, comme la jolie Sarah aux claviers et le surprenant Benjamin à la basse (surprenant du fait de sa manière inhabituelle d’osciller de la tête !), du groupe qui a co-composé In the Rainbow Rain, le dernier album assez atypique d’Okkervil River. Et le son de guitare si particulier de Graefe apporte une tonalité toute différente à la musique, plus ambient peut-être, plus atmosphérique certainement. L’attaque du set par le très séduisant – répétons-le, certains diront très commercial – Pulled Up the Ribbon annonce clairement une orientation nouvelle. Et peut-être, même si seul le futur nous le dira, une approche musicale plus « de groupe » que d’auteur compositeur : il y a clairement une énergie plus directe, plus pop, que précédemment, et Will peut même se permettre de démarrer le concert en ayant du mal à placer sa voix – cela sera vite corrigé, bien entendu -, le public réagit au quart de tour et se laisse emporter par cet enthousiasme perceptible. Love Somebody répète le tour de magie, et on peut apprécier la combinaison des voix de Will Graefe et de Sarah aux chœurs, qui confèrent clairement une belle légèreté à la musique.

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Famous Tracheotomies permet à Will Sheff ses premières plaisanteries – sur le fait que « cette chanson a un mot compliqué qu’il lui avait fallu apprendre très jeune » – ce à quoi des fans grecs dans la salle lui répondent que ce n’est pas un mot compliqué, puisque c’est un mot grec ! La chanson fonctionne particulièrement bien, se terminant par un joli hommage en forme de ritournelle à Ray Davies (Waterloo Sunset aurait paraît-il été composé par Ray au sortir d’une telle opération…). Don’t Move Back to L.A. se déploie de manière beaucoup plus séduisante que sur l’album, une fois de plus grâce aux voix combinées du groupe, et une toute nouvelle chanson, New Blood, accrocheuse et facile à mémoriser, enfonce le clou : Okkervil River serait donc maintenant un véritable groupe pop. Pourquoi pas ?

Sauf que, bien entendu, rien n’est aussi simple avec Will Sheff. Il nous annonce l’interprétation d’un morceau jamais encore jouée sur scène, Savannah Smiles – un extrait oublié de The Stage Names, et, d’un coup, on retrouve le Will qu’on aime plus que tout : une chanson dépouillée, bouleversante, qui fait décoller le concert, le fait passer à un niveau supérieur. L’ovation qui suit est assourdissante : n’y aurait-il pas un peu de soulagement dans ces applaudissements ? Voilà quarante minutes que le set a débuté, et il bascule vers ce que nous attendions bien sûr tous, nous les fans d’Okkervil River qui ne louperions pour rien au monde leur passage en ville : une succession éblouissante de pics d’émotion incandescente et d’instants de pure jubilation Rock. Aligner devant nous, comme à la parade, trois titres comme John Allyn Smith Sails, Black Sheep Boy et le sublime Our Life is not a Movie or Maybe est évidemment irrésistible, surtout avec l’énergie déployée par le groupe.

https://www.youtube.com/watch?v=WeC50e4wYp8

Le rappel sera malheureusement un tout petit peu en dessous, peut-être parce qu’il débute par une autre nouvelle chanson, qui renoue avec les nouvelles atmosphères plus éthérées, moins fougueusement romantiques que naguère. Lost Coastlines et Unless It Kicks font néanmoins le taff, et bouclent les 95 minutes d’un concert une fois encore formidablement humain… Encore une fois en forme d’offrande intense d’un artiste à la fois humble et généreux, un artiste comme il n’y en a pas tant que cela en activité en 2018.

« And I know it’s a lie / But I still give my love / And my heart’s all alive / For your hands to pluck off, oh… »

Avec mes voisins, tandis que la petite foule se rue sur le stand de merchandising, nous échangeons les setlists et nos souvenirs des concerts précédents d’Okkervil River. Nous nous promettons de nous retrouver la prochaine fois, au prochain passage de Will. Comme une petite famille de gens réunis par l’amour d’une musique réellement singulière.

Texte et photos : Eric Debarnot