A 51 ans, Brett Anderson, sorte de Tom Cruise du Rock, faisait son retour à la Cigale à Paris devant un parterre de fans toujours aussi fervent(e)s pour un set au lyrisme permanent et au final épuisant.
Tout cela remonte à 25 ans : l’Angleterre Rock était secouée par l’une de ces fameuses éruptions soigneusement orchestrées par les journaux – NME, Melody Maker, etc. – aujourd’hui disparus. La Brit Pop, courant éphémère et polymorphe culminait avec l’affrontement puéril entre les vilains de Oasis et les gentils de Blur, mais nos préférences allaient plutôt à la pop malade de Pulp ou au rock provocateur et sexy de Suede. Si cette époque ne suscite plus guère que de la nostalgie (et encore !), il faut noter que Suede est de retour depuis quelques années, avec une musique plus mature, plus ambitieuse, disons plus dans la lignée de “Dog Man Star” que de “Suede”. Il convenait clairement donc d’aller voir sur pièce de quoi il retournait, et le passage de la petite troupe de Brett Anderson dans l’écrin précieux de la Cigale était une occasion idéale… même si, évidemment, il fallait affronter à l’entrée la longue queue des followers (au féminin) britanniques bien décidées à être au premier rang pour pouvoir toucher une fois encore leur idole.
20h00 : Gwenno Saunders, ex-Pipette pour ceux à qui la pop rétro du girl band anglais évoque encore quelque chose, s’est désormais reconvertie en militante active pour la langue galloise et même pour le cornique (langue celtique antique, mais réapparue à la fin du siècle dernier).
Et pourquoi pas ? D’autant que la musique de son groupe – guitare, claviers, basse, batterie – louche vers le rock celtique un peu héroïque immortalisé dans les années 80 par Big Country ou The Alarm. Une bonne dose d’énergie, d’enthousiasme, et même régulièrement, d’intensité – quand Gwenno se met à hurler ! – qui font plaisir à voir. Quelques limitations au niveau de compositions qui ne sont clairement pas transcendantes, et un son un peu brouillon, qui ne met pas assez en avant la voix de la belle Galloise, empêcheront le set de vraiment décoller. Les avis autour de moi seront donc plutôt divergents, suivant, je suppose, la réceptivité de chacun à un style musical un peu daté, avec ses guitares carillonnantes. Mais au moins on aura appris à prononcer quelques mots – en gallois ou en cornique, je ne saurais le dire – à propos du fromage, un truc visiblement important là-bas comme en France…
21h00 : C’est derrière un voile translucide que Suede attaque son set par l’impressionnant – et un tantinet pompeux – As One : grâce à l’ami Robert Gil, le brillant photographe qui est toujours sur les meilleurs coups, nous étions prévenus de cette petite fantaisie – à laquelle je crois savoir que Suede a déjà eu recours lors de précédentes tournées. Bon, je veux bien, mais trois titres sans voir le groupe, sinon en ombres chinoises, c’est quand même un peu longuet : on comprend le message quand Brett chante « I don’t Know How to Reach You » en plaquant la paume de sa main sur le rideau, mais bon… On va dire que c’est avec Outsiders que les choses sérieuses démarrent, parce que, à mon humble avis, le principal intérêt – avec un soupçon de mauvaise foi je dirais le seul, mais c’est un peu exagéré – de voir Suede sur scène, c’est l’impressionnante présence de Brett Anderson. Constamment en mouvement, quasiment en permanence au contact de ses fans énamourées au premier rang, Brett nous offre le rare spectacle d’une véritable Rock Star, comme on a envie de dire qu’il n’y en a plus.
On peut penser à un Morrissey, quand on constate cet amour fou qui semble lier Brett à ses fans, un amour que Brett, avec une générosité remarquable, place au centre de toutes ses préoccupations sur scène. Il faut ajouter qu’à 51 ans, Brett apparaît remarquablement en forme, tant par sa silhouette inchangée que par l’énergie qu’il déploiera en permanence pendant les 90 minutes d’un set à forte intensité. La scène de la Cigale a d’ailleurs été étendue vers l’avant, pour offrir à Brett un espace devant les retours, lui permettant d’interagir constamment avec son public. Un public qui, logiquement, entre en transes pour la première fois sur l’enchaînement imparable The Drowners – We are the Pigs – So Young, plongeon sans nostalgie excessive dans la musique du début des 90’s.
« I say we are the pigs / We are the swine / We are the stars of the firing line » … Même s’il est facile de chanter un chœur le refrain de la plus célèbre chanson de “Dog Man Star”, je réalise que les autres chansons à succès des débuts de Suede (jamais réécoutées depuis…) ne me sont pas restées en mémoire, à la différence de beaucoup d’autres morceaux d’autres groupes de la même époque. Et je dois donc me résoudre à assumer une position d’observateur un peu détaché devant ce concert, dont je sens peu à peu qu’il ne me concerne pas complètement. Car, si le groupe conduit par le brillant Richard Oakes à la guitare est impeccable, aidé en outre par un son agressif à un niveau conséquent, le lyrisme permanent de Suede s’avère vite épuisant. La voix de Brett est superbe, son chant n’a pas faibli avec les années, son enthousiasme et son énergie font plaisir à voir, mais on ne peut guère s’empêcher de ressentir plusieurs “tunnels” pendant le set. Votre esprit se met à vagabonder, et vous vous rendez compte que vous prenez plus de plaisir à regarder le spectacle dans la salle qu’à véritablement écouter la musique jouée par le groupe…
https://youtu.be/WU_DFTvScK8
Encore une poussée d’adrénaline avec le trio Metal Micker / Trash / Animal Nitrate, dont les riffs simplistes sont accueillis par l’enthousiasme général, et on s’achemine vers la fin du set, que Brett, après un gentil intervalle acoustique dédié de tout cœur à ses fidèles, consacre de nouveau au lyrisme torturé de “The Blue Hour”. Il est 22h30, et Brett nous annonce que le rappel, faute de temps, n’aura qu’une seule chanson : c’est le crowd pleaser Beautiful Ones, illustrant parfaitement le grand écart musical de Suede entre pop agressive, hier, et atmosphères complexes et plus adultes, aujourd’hui.
Et c’est alors que le set va se terminer que je mets enfin les mots sur une impression bizarre que j’ai eue pendant presque tout le set, sur une idée que je n’arrivais pas à matérialiser : en fait, Brett Anderson, c’est un peu le Tom Cruise du Rock ! A 50 ans passé, un beau garçon toujours séduisant, capable encore de faire fi de l’outrage des années, et se dédiant corps et âme à la satisfaction de son public. Rien de honteux ni de ridicule là-dedans. Au contraire, ça force même l’admiration…
« But the clock is ticking away / And the wind is calling us / And the way you make your exit / There are no words… »
Texte et photos : Eric Debarnot
https://youtu.be/4QbsLBaCa-4
Les musiciens de Suede :
Brett Anderson – vocals
Richard Oakes – guitars
Simon Gilbert – drums
Mat Osman – bass
Neil Codling – keyboards, guitars, synthesizers
La setlist du concert de Suede :
As One (introduction)
As One (The Blue Hour – 2018)
I Don’t Know How to Reach You (Night Thoughts – 2016)
Wastelands (The Blue Hour – 2018)
(Curtain rises)
Outsiders (Night Thoughts – 2016)
Cold Hands (The Blue Hour – 2018)
The Drowners (Suede – 1993)
We Are the Pigs (Dog Man Star – 1994)
So Young (Suede – 1993)
My Insatiable One (Single – 1992)
Tides (The Blue Hour – 2018)
Roadkill (The Blue Hour – 2018)
The Asphalt World (Dog Man Star – 1994)
It Starts and Ends With You (Bloodsports – 2013)
Filmstar (Coming Up – 1996)
Metal Mickey (Suede – 1993)
Trash (Coming Up – 1996)
Animal Nitrate (Suede – 1993)
The Big Time (Brett solo acoustic) (single – 1993)
The Invisibles (The Blue Hour – 2018)
Flytipping (The Blue Hour – 2018)
Encore:
Beautiful Ones (Coming Up – 1996)