Il y a trop peu d’auteurs ambitieux travaillant dans le domaine de la BD érotique pour bouder notre plaisir devant ce Pour la Peau signé du duo Deloupy et Sandrine Saint-Marc.
« Qu’est-ce que tu ne ferais pas pour / la peau ? / Ton sang chauffé d’un coup / Tu le sens cavaler / Te porter n’importe où / Te faire faire un peu tout, sans frein » – (Dominique A – Pour la Peau 2001)
On sait depuis les années 80, depuis Le Déclic de Manara, les 110 pilules de Magnus ou L’Amour Propre (ne le reste pas longtemps) de Veyron, que la BD peut être un formidable vecteur d’excitation (sexuelle), que la BD est même l’un des arts qui s’accorde le mieux à l’exercice de la pornographie, puisqu’il est le seul à conjuguer – lorsque l’intelligence est de la partie – l’impact direct de l’image à la liberté d’imaginer, de fantasmer que laisse le non-réalisme de cette image (et bien sûr la discontinuité entre les cases !).
La publication de Pour la Peau, récit frontal d’une relation adultère qui a la caractéristique d’être purement (?) sexuelle, qui plus est réalisé à 4 mains par une femme et par un homme, est l’occasion rêvée de renouveler l’expérience troublante de « tenir d’une BD d’une seule main pour la lire » (ce qui n’est pas des plus facile, on en conviendra…).
La singularité de Pour la Peau, c’est que Sandrine Saint-Marc et Deloupy nous font partager le fantasme d’une aventure purement sexuelle, presque abstraite, confinée dans l’espace fonctionnel d’un simple bureau au sein d’une entreprise anonyme. Une aventure présentée de prime abord comme sans conséquences sur la vie des deux protagonistes, qui ne se connaissent pas, ne se promettent rien, et ne laissent pas leur attirance physique mutuelle mettre en danger leur vie « officielle » : une sorte d’illusion séduisante de l’infidélité parfaite, en quelque sorte… En alternant le point de vue des deux amants grâce à une légère différence de traitement de son dessin – élégant et « stimulant » -, Deloupy apporte une jolie « profondeur de champ » à un récit qui s’avère de prime abord assez répétitif, les nombreuses scènes ultraréalistes de copulation effrénée ne faisant guère preuve d’imagination, justement… C’est quand la réalité de leur acte rattrape les deux amants, que l’illusion de l’impunité disparaît et qu’un véritable drame pourrait se nouer que « Pour la Peau » décolle enfin : la dernière partie du livre est emplie d’une magie qui manquait jusqu’alors. Le doute, la culpabilité et la douleur ont fait leur apparition au milieu d’ébats jusque-là trop parfaits, la vérité de l’Amour ne peut plus être niée, et le spectre de la Mort passe. Forcément. La belle fin ouverte finit d’élever élégamment le livre au-dessus du simple catalogue de fellations et de pénétrations qu’il a menacé trop longtemps de rester.
Au final, et ce n’est pas vraiment une surprise, le Sexe sans Amour (ni perversité, celle-ci étant clairement la grande absente du livre) n’a pas grand intérêt : ce sont bien le désir (universel dans notre société trop normée ?) d’invisibilité, d’impunité, de légèreté même, ainsi que l’éternel point aveugle qu’est la réelle connaissance de l’Autre qui constituaient le beau sujet de ce livre, d’abord trop lisse, et qui ne trouve sa route qu’un peu tard…
Un livre qui reste une superbe tentative dans un genre exigeant et difficile, un genre désormais trop peu exploré et célébré.
Erci Debarnot
Pour la Peau
Dessin : Deloupy
Scénario : Deloupy et Sandrine Saint-Marc
Editeur : Delcourt
Date de sortie : 22 août 2018
© Delcourt