Après un ralentissement pour cause de Travaux sur la N89, Murat retrouve l’inspiration avec ce Il Francese, disque de transition, disque fécond.
Credit photo : Frank Loriou
« Mon Capitaine, mais qu’avons-nous foiré ? J’en sais rien ! Achtung baby ! »
Imaginons que le « j’en sais rien » de l’introduction du dernier album de notre cher Jean-Louis (Murat) soit l’écho français (franco-italien ?) au récent « I Don’t Know » de notre encore plus cher Paulo (McCa) : nous vivons en des temps incertains, et quel que soit notre âge, la tête nous tourne. A cela s’ajoute forcément le doute chez JL Bergheaud, car après des débuts difficiles et une confirmation tardive d’un succès commercial qui resta quand même mitigé, et malgré un talent reconnu et une dizaine d’albums excellents explorant différents formats « rock » et « chanson », le plateau (de popularité) atteint semble désormais interminable. Alors, qu’est-ce qui a foiré ? Et surtout, que faire, maintenant ?
Le précédent album, Travaux sur la N89, montrait une volonté inédite chez le soi-disant « ermite » épris de nature et de solitude d’ouverture à des sons contemporains, électro-jazz, et un attrait nouveau pour une forme plus libre. L’abandon quasi total de la mélodie, typique de cet artisanat pop dont Murat reste l’un des plus beaux exemples français, condamnait néanmoins cette tentative à l’échec, l’auditeur se fatigant rapidement de ce qui paraissait avant tout un exercice de style. Il Francese, pour ne pas constituer encore la grande réussite qui pourrait répondre à toutes les questions et relancer la carrière de Murat, propose une passionnante évolution par rapport à Travaux sur la N89… D’abord, parce qu’il contient au moins deux chansons très accrocheuses, Achtung, en ouverture, et surtout l’irrésistible Hold Up, qui bénéficie aussi du chant toujours gracieux de Morgane Imbeaud, et qui déploie une efficacité mélodique et rythmique remarquable. Deux chansons qui nous rassurent quant à la vitalité de l’inspiration de Murat et constituent deux solides piliers autour desquels déployer les volutes électroniques, artificielles et paradoxales des autres morceaux, plus déstructurés, voire expérimentaux parfois.
En retrouvant un format de chansons plus traditionnel sans abandonner les nouvelles sonorités développées dans l’album précédent, en confrontant ses mêmes thèmes éternels – la Nature, l’Histoire, l’Amour – à une musique « actualisée » – électronique surtout, chaotique parfois, stimulante toujours -, Murat semble près de résoudre la quadrature de son propre cercle. L’album souffre malheureusement d’un « ventre mou » avec quatre ou cinq titres plus flous, avant de se reprendre avec un final grandiose : Je me Souviens, moment à très haut degré d’émotion, nous permet de retrouver, in extremis, le GRAND compositeur que nous aimons, l’un des plus beaux artistes français depuis plusieurs décennies. Cette chanson magnifique, peut-être un hommage à un compagnon de route récemment disparu, peut d’ailleurs être accusée de contredire tout ce qui précède, de déséquilibrer encore plus la trajectoire clairement incertaine de Il Francese, mais peu importe finalement : il s’agit là de l’un de ces fameux « albums de transition », imparfaits mais tellement féconds, qui sont en général tout à l’honneur de leurs concepteurs.
Murat ne sait pas bien ce qu’il fait là, ne comprend pas clairement ce qui a foiré, quand et où… Mais le fait qu’il ne se résolve pas pour autant à faire du surplace est cette fois splendide. Le doute est fécond, toujours.
Eric Debarnot