Quand on pense avoir perdu la flamme et que le seul espoir réside dans la mort, il arrive qu’un événement imprévu redonne tout son sens à la vie. Une adaptation brillante d’un roman d’Antonio Tabucchi.
Lisbonne, 1938, en pleine dictature salazariste. Veuf nostalgique, vieillissant, obèse et nombriliste, le « doutor Pereira » végète en traduisant ses auteurs français favoris dans la page culturelle d’une gazette locale catholique. La rencontre avec un jeune homme révolutionnaire à qui il propose de faire des piges va bouleverser ses certitudes, lui imposant de faire des choix non dénués de risques.
Il est toujours difficile de juger l’adaptation d’une œuvre que l’on n’a pas lue, mais à en juger par la qualité de cette bande dessinée, le matériau Sostiene Pereira a quelques atouts pour y contribuer. L’écrivain italien Antonio Tabucchi, dont le Portugal était la seconde patrie, évoque à travers ce roman l’engagement politique et la responsabilité de chacun face à un contexte politique particulier, en l’occurrence ici la dictature qui a sévi près de quarante années dans la péninsule ibérique. Le livre et son principal protagoniste, le Pereira du titre, sont d’ailleurs devenus une référence pour les opposants à Berlusconi dans l’Italie des années 90. Tabucchi y cite une théorie à la fois séduisante et troublante, celle des « médecins-philosophes » selon laquelle il y a plusieurs âmes cohabitant en l’Homme. Celles-ci délibèrent pour imposer un moi hégémonique qui définira le contour de sa personnalité, jusqu’à ce qu’un autre moi prenne sa place…
Pierre-Henri Gomont, dessinateur et accessoirement scénariste, a non seulement donné corps au personnage de Pereira avec un certain brio, mais s’est complètement approprié ce livre d’un auteur engagé, démontrant indubitablement son admiration pour ce dernier. Gomont reprend les codes du neuvième art avec originalité et humour en se gardant de tout académisme. Il possède un trait semi réaliste flamboyant et dynamique, restituant avec bonheur, grâce à une colorisation très bien sentie, l’ambiance chaude et lumineuse de la « ville aux sept collines » avec son tram sillonnant le quartier pittoresque de l’Alfama. De façon nuancée, il a su rendre le personnage pataud de Pereira attachant dans ses questionnements existentiels et son obsession pour la mort.
Avec Pereira prétend, ce bédéaste au style très affirmé n’en est pas à son coup d’essai (il s’agit de son sixième album depuis 2011) et n’est pas très loin du coup de maître… Cette adaptation réussie n’est d’ailleurs pas passée inaperçue lors de sa sortie en 2016, récompensée notamment par le Grand prix RTL de la bande dessinée. Un auteur que l’on va donc forcément suivre avec intérêt…
Laurent Proudhon
Pereira prétend
D’après le roman d’Antonio Tabucchi
Scénario & dessin : Pierre-Henry Gomont
Éditeur : Sarbacane
160 pages – 24 €
Parution : 7 septembre 2016