A partir du thème classique de la maison hantée, Mike Flanagan réussit contre toute attente avec The Haunting of Hill House une série parfaite, improbable relecture de Six Feet Under par Stephen King.
Que Netflix ait pu produire The Hauting of Hill House, soit l’une des plus belles choses que la Série TV moderne nous ait offert au cours de la décennie, est sans nul doute un sujet d’émerveillement. Même si, bien entendu, c’est l’ambition et le talent de Mike Flanagan, show runner et réalisateur des 10 épisodes de la série, qu’il faut vraiment célébrer.
Bien sûr, The Haunting of Hill House aura ses détracteurs : trop lent, trop sentimental, pas assez effrayant. Et cette frustration, compréhensible, vient de l’ambiguïté féconde que le projet porte en lui : né de (et présenté comme) l’éternelle histoire de la maison hantée qui annihile la famille imprudente qui vient y habiter, The Haunting… peut en fait être décrit comme un remake plutôt fidèle de Six Feet Under à la manière de Stephen King : le pur fantastique se voit confiné à quelques scènes – extrêmement puissantes néanmoins – illustrant avec une grande pertinence et une extrême finesse la détresse des membres dysfonctionnels d’une famille brisée par le souvenir incompréhensible – inexpliqué puisque la vérité est tout simplement INDICIBLE – d’une nuit sur laquelle il faudra bien, un jour, revenir.
Comme dans les meilleurs livres de King (dont le Shining est cité avec beaucoup l’élégance à travers le labyrinthe, la « red room / redrum » ou le grand bar de l’hôtel), le surnaturel est à la fois la cause, le déclencheur du drame, mais il en est aussi la conséquence, la traduction visible des tourments intimes des protagonistes. Comme chez King, c’est le fait de coucher par écrit, de manière mensongère ou non, les faits qui leur confèrent leur existence réelle aux yeux de tous. Mieux peut-être encore que chez King, c’est l’amour qui est à la fois le poison (la mort aux rats qui s’invite à la Tea Party) et l’antidote, qui justifie le sacrifice final, qui permet de libérer ceux qu’on aime et de les laisser affronter sans nous le monde extérieur.
Car le superbe dernier épisode – qui fait en quelque sorte écho au final élégiaque de Six Feet Under – justifie et explique complètement – sans avoir le moins du monde besoin d’en appeler à la raison et à la logique – la structure narrative éclatée de la série (la parabole des confettis), ainsi que les remarquables paradoxes topographiques de la maison (l’idée de génie de la pièce rouge, donc, à la fois inaccessible et habitée par tous). Mais il explicite aussi de la plus efficace des manières l’idée toute simple qui est au cœur de la série : aimer quelqu’un, cela peut conduire à le dévorer pour le protéger de la vie, et c’est là, tout parent le sait, le plus grand danger qui nous guette tous… Face à cette horreur qui naît paradoxalement de la bénédiction de l’amour, les pauvres fantômes derrière la porte ne sont pas grand-chose…
Il faut enfin parler des tours de force qui parsèment la série : l’intelligence de la narration fragmentée qui permet de révéler peu à peu toute la complexité de l’histoire quand les pièces du puzzle se mettent en place, la bouleversante révélation du mystère de la « bent neck lady » dans le 5ème épisode, l’incroyable paroxysme émotionnel et artistique du 6ème épisode, avec ses plans séquences de près de 15 minutes et la parfaite gestion de l’hystérie par un Flanagan en pleine maîtrise de sa mise en scène, la merveilleuse douceur qui régit de nombreuses scènes filmées avec une patience et une attention réellement inhabituelles… et tant d’autres choses encore que chaque téléspectateur découvrira selon ses goûts.
Car la plus grande qualité de The Haunting of Hill House, c’est probablement que la maison hantée est avant tout une auberge espagnole où chacun trouvera ce qu’il y aura apporté : entre une histoire de fantômes et un grand mélodrame familial, il y a suffisamment d’espace pour que chacun de nous puisse y loger.
Eric Debarnot