Avec Babybox, Jung jette un regard sensible sur la quête d’identité d’une enfant adoptée, qui plus est « en transition » entre deux cultures : un très beau livre touchant…
Bien sûr, tous les aficionados de la BD, ou presque, connaissent désormais le manhwa, et savent que la Corée du Sud est aujourd’hui, au même niveau que le Japon, l’un des pays phares dans le monde de cette forme littéraire. Babybox n’est pourtant pas à proprement parler un manhwa, et s’apparente sans doute tout autant au courant de la « BD adulte occidentale » car son auteur, Jung, – auteur du très réussi Le Voyage de Phoenix en 2015 – bien que coréen, a été élevé en Belgique. Le premier et sans doute principal attrait de ce très beau livre, tant pour la forme – reliure inhabituelle remarquable, superbes dessins et compositions en noir et blanc rehaussées de rouge – que pour le fond, c’est son positionnement « entre deux cultures », la franco-belge dans laquelle notre « héroïne » se sent « chez elle », mais jamais vraiment « elle-même », et la sud-coréenne dont elle a tenté de se détacher mais qui l’attire, puisqu’elle espère y retrouver ses « origines ».
Bien que le personnage central de Babybox soit féminin, il est impossible de ne pas lire en filigrane ici le récit d’une quête identitaire très intime de Jung… d’autant qu’il est évident que cette « zone grise » (rouge, pour le coup…) dans laquelle erre Claire fait écho à la situation de tout immigré cherchant à trouver sa place dans une société qui n’est pas la sienne. Ce trouble est ici aggravé, comme une « double peine », par la découverte par Claire de sa situation réelle d’enfant adopté, qui lui a toujours été cachée, et qui lui est révélée dans des circonstances dramatiques. Sans pays et sans parents, donc devant un vide identitaire béant, que faire ?
La réponse qu’apporte Jung sera peut-être critiquée, le livre se refermant sur une résolution qui semble un peu facile, mais c’est aussi là la beauté de ce livre, qui tirera probablement des larmes aux plus sensibles d’entre nous. Par-delà cette sorte d’évidence – préférons ce mot à celui de simplicité – du récit, il y a dans Babybox un très beau concept, plus complexe qu’il n’y paraît, celui du « sas » de décompression, permettant le « passage » d’un monde à l’autre. L’enfant abandonné y séjourne avant d’être confié – ou non – à ses nouveaux parents, et il y a non seulement la possibilité d’une transition, d’une « reprise de son souffle », d’un repos passager peut-être, mais aussi l’idée, moins positive, d’une étanchéité entre l’avant et l’après : le retour en arrière est impossible. A cette impossibilité, ou plutôt à cette fermeture des possibles, Jung / Claire opposent judicieusement l’idée d’une ouverture radicale, symbolisée par la bouteille à la mer, porteuse d’un message qui ne sera probablement jamais lu et qui n’arrivera certainement jamais à sa destination désirée, mais dont l’existence têtue – sur les flots infinis – justifie finalement que l’on continue à lutter, à espérer.
Il n’est malheureusement pas certain que Babybox trouve beaucoup de lecteurs, car sa subtilité et sa discrétion s’accordent mal avec le tumulte de notre époque, mais gageons que chaque lecteur qu’il rencontrera se sentira touché par la grâce. Heureux comme celle ou celui qui ramasse une bouteille échouée sur une plage, et qui y découvre le message d’un ami ou d’une amie inconnue.
Eric Debarnot
Babybox
Dessin, couleurs et scénario : Jung
Editeur : Soleil – Collection : Noctambule
156 pages 19.99 €
Date de sortie : 16 octobre 2018