Shara Nova et son projet My Brightest Diamond au style si singulier étaient au Point Ephémère à Paris ce vendredi 23 novembre 2018 pour une soirée pleine d’intimité.
My Brightest Diamond est peut-être l’une des artistes contemporaines les plus intéressantes, en tout cas elle est clairement dans le peloton de tête de la recherche musicale qui sait rester accessible, presque populaire avec ses résonances indie rock ou disco : quelque chose comme Goldfrapp rencontrant Kate Bush, St. Vincent s’inspirant de Florence + the Machine, mais non sans avoir fait un passage chez Ziggy Stardust… le tout avec une alchimie qui semble laisser la part belle au hasard. L’album « This is my Hand« , datant d’il y a 4 ans déjà, représente une sorte de magnifique épanouissement pour Shara Nova, tandis que « A Million and One« , sorti aujourd’hui même, louche vers l’électro mais pousse l’exploration vers l’outrance, la dissonance, au risque de l’inconfort de l’auditeur. Qu’en sera-t-il ce soir au Point Éphémère ? Les paris sont ouverts…
20h30 : Ian Chang, un homme, une batterie. Le résultat n’est pas un festival de percussions et de rythmes comme on pourrait s’y attendre, mais bien une musique. Une musique nouvelle, envoûtée et envoûtante, déstructurée et pourtant étrangement harmonieuse. Le rebord des fûts, effleuré souplement avec les baguettes, sert à la rythmique, tandis que les peaux, une fois frappées, génèrent des sons différents, allant jusqu’aux infrabasses, après retraitement par l’électronique. Ian est incroyablement concentré, vivant sa musique avec une intensité physique remarquable. Les lumières hachent menu l’obscurité de la salle, gare aux épileptiques ! – Ian nous a prévenus, on ne sait jamais. Le set de Ian Chang est à la fois terriblement physique, totalement virtuose et superbement atmosphérique, soit une sorte de petit miracle de 35 minutes. Pas pour tous les goûts, certes, pas forcément écoutable sur la longueur d’un album, mais une vraie expérience inédite, à notre époque où l’on a tendance à se dire que tout a déjà été fait.
21h25 : Alors qu’une musique de dance-floor a envahi le Point Ephémère, et qu’un batteur s’est installé sur scène, les projecteurs cherchent au milieu de la petite foule, et on a tôt fait de repérer, malgré la petite taille de Shara Nova, sa houppe rousse alors qu’elle danse et chante en se frayant son chemin vers la scène. Une jolie entrée en matière, finalement peu habituelle (Peter Gabriel, Arcade Fire s’y sont risqués…), mais qui témoigne de la volonté de My Brightest Diamond de désacraliser sa musique, que l’on pourrait qualifier de peu accessible a priori, en la transformant en communion avec le public, voire en moment de célébration générale. Plus tard, après nous avoir expliqué que, si cette fois elle ne fête pas son anniversaire au Point Ephémère comme ça a déjà été le cas, il s’agit ce soir d’une « Release Party » de son nouvel album : elle nous distribuera des chapeaux pointus, qu’elle aura pris soin de dédicacer auparavant, tandis qu’un fan lui fera apporter une coupe de champagne dans la quelle elle trempera les lèvres avant d’attaquer la chanson du même nom.
Donc ce soir, ce qui n’est pas forcément la solution la plus plaisante étant donné le choix du chaos qui a été celui de l’album, nous allons écouter la quasi-intégralité de « A Million and One ». Une introduction quand même à la soirée avec une version dépouillée, raccourcie, et en français du fabuleux This Is My Hand (les paroles en français sont scotchées sur le sol pour aider Shara à s’en souvenir…), mais il y aura peu de retours vers le passé au cours de l’heure trois quart de ce set. La plupart des sons, ainsi que les backing vocals des chansons sont pré-enregistrés, ce qui est évidemment toujours un peu regrettable, mais le spectacle offert par l’impressionnant batteur et surtout par Shara est total. Shara danse (It’s Me on the Dance Floor…) presque autant qu’elle chante, ce qui est un peu frustrant quand on pense à la voix extraordinaire qu’elle a, et comment elle arrive à élever vers le sublime les quelques moments où elle se concentre sur son chant. Sara joue des claviers, mais surtout de la guitare, et ses éclats électriques, agressifs, font comme des éclairs de lumière au milieu de l’ambiance sombre et quasi tribale de la soirée.
Comme les chansons ne sont pas encore vraiment connues – je ne sais pas si beaucoup de fans ont eu le temps d’écouter l’album avant de venir – il est un peu difficile de juger de leur interprétation, même si elle semble plus incarnée, plus sauvage parfois que sur l’album, et surtout d’y prendre beaucoup de plaisir. Bien entendu, Champagne, seul titre déjà connu, chanté en VF, dégage une férocité métronomique bien venue, et est acclamé. Another Chance, également en français, devient Une Nouvelle Chance. Sway, durant lequel Shara nous encourage à danser, ou à la rigueur à osciller sur place… ou même à simplement bouger la tête si c’est plus notre truc… You Wanna See my Teeth frôle l’expérimental, mais Shara reste totalement connectée avec le public, distribuant sourires et petits mots gentils, nous facilitant l’accès à ces morceaux inhabituels et encore peu familiers.
Le set verra alors le retour de Ian Chang à la rythmique, et même la participation hip hop d’un ami de Shara, dont je n’ai pas retenu le nom. Le terrible White Noise, avec son funk sépulcral et son ambiance glaçante conclura la revue du dernier album, qu’on aurait, logiquement, espérée moins monothématique, et laissant plus de place aux vocaux. Les fidèles seront toutefois récompensés au dernier moment par des versions intenses de Inside a Boy et de Be Brave, qui nous permettront de retrouver un peu nos marques…
Après la fin du concert, Shara revient danser au milieu du public, puis faire la bise aux fans français qu’elle reconnaît. L’ambiance est très amicale, très intime, on a le sentiment de se trouver au sein d’une petite famille chaleureuse, unie par l’amour d’une musique singulière. Dehors, des torrents d’eau s’abattent sur le Canal Saint-Martin, et il est encore plus difficile d’abandonner le Point Ephémère et de sortir de ce cocon si particulier que tisse autour d’elle Shara Nova, une artiste réellement à part.
Texte et photos : Eric Debarnot