Avec ce 3e album tourné vers le large, entre Méditerranée et Atlantique, Fred Nevché nous convie à un voyage rempli de chanson portées par des musiques électroniques légères et élégantes.
Credit photo © Bastien Burge
Les singles, tour à tour sortis par Fred Nevché, tout comme la pochette de l’album, arborent de magnifiques pavillons dont la sobriété des couleurs rappelle ceux du code international de signalisation maritime. Un langage codé ? Peu importe. Nous suivons les pavillons qui flottent dans le vent comme des balises de détresse ou le signal d’un bateau mis en quarantaine. Dans la forme, il s’agit d’une sobriété que l’on retrouve aussi bien dans le visuel des films que dans la structure des chansons. La danse et les mouvements dans l’espace y sont aussi importants que les mots prononcés. Le lyrisme y est sous-jacent, ne nous atteint pas tout de suite, il demande à ce que le temps s’étire, à ce que l’espace s’emplisse du bleu du ciel et de l’océan, comme ceux que l’on observe avec langueur depuis la longue plage de Valdevaqueros.
Le nouvel album de Fred Nevché est profondément tourné vers le large. Un album maritime, entre Méditerranée et Atlantique. Nous sommes à hauteur du détroit de Gibraltar, lieu frontière, lieu passage, lieu de migrations, non loin de la pointe de Tarifa. Porté par le vent, inondé d’une douce lumière, des personnages apparaissent dans le paysage. Ils sont vivants, portés par un souffle. Une femme dans chaque port, ou une seule, mais peut-être s’agit-il d’un homme, ou des deux, il y a confusion des sentiments. L’album est empreint d’une certaine pansexualité qui imprègne également les clips d’une langueur amoureusement volage : « Sur la plage, à seize ans, je regardais passer les véliplanchistes qui longeaient le rivage, d’un côté puis de l’autre, au gré des vents, des courants, et je me demandais de quel bord de la mer, un jour, j’accosterai ».
Ecrit entre le Québec, Marseille et Casablanca, l’album est le prolongement du poème Décibel que vous pouvez écouter sur le site internet de Frédéric Nevchehirlian où sont également regroupées toutes les vidéos qui accompagnent chacun des titres. On y découvre l’univers de cette Ithaque inaccessible, de cette odyssée intérieure, traduit par une électronique légère, élégante, qui ne demande que l’effort de se laisser porter, de s’abandonner à une lecture des textes, souvent délicatement posés d’une voix blanche, où surgit parfois la mélodie pour rehausser le bleu profond qui domine l’horizon de Valdevaqueros. Un raffinement electronica, développé en compagnie de Simon Henner et Martin Mey, qui nous emmène, porté par un vent calme, mais constant, vers des îles furtives, comme autant de chansons où il nous sera loisible d’aborder. Car il est aussi question d’une forme d’exil amoureux : « L’amour est allé voir ailleurs comme un oiseau sans branche où se poser ». Et au récit de nous proposer plusieurs escales (en matière de musique, nous dirions des plages) pour découvrir ces lieux de villégiature qui sont comme les antichambres de la mémoire du voyageur Nevché. Lui qui ne cesse de revenir au port, le sien : Marseille.
Mais curieusement, comme une anti-thèse de cet album tourné vers le bleu de la mer et de l’océan, c’est dans le parking d’une station-service d’une aire d’autoroute que nous commençons l’aventure. Dans le fortuit, l’incongru, le sexuel, à la sauvette. Des instantanés pris sur le vif qui ne manquent pourtant pas de sensualité malgré la trivialité des lieux. « On se fait des promesses qu’on ne tiendra jamais mais on croit à l’ivresse qu’elle vient de nous procurer ». Suit le morceau Pénélope, un des plus beaux titres sortis cette année dans le domaine francophone. Et en dessinant l’ambivalente figure féminine, qui attend le retour prodigue sans toutefois se résoudre à la passivité, Fred Nevché nous invite à prendre possession de notre Ulysse personnel en vivant son exil de l’intérieur et en se disant tout bas : « Quand reviendrais-je au port ? ».
Dionys Décrevel
L’occasion nous est donc donnée de faire escale avec Fred Nevché et ses comparses le 11 décembre 2018, au bord du canal Saint-Martin cette fois, au Point éphémère, à Paris.
Fred Nevché – Valdevaqueros
Label : Internexterne / L’Autre Distribution / IDOL
Date de sortie : 21 septembre 2018