Il se passe toujours quelque chose dans les concerts de IDLES. La preuve encore, ce 3 décembre au Bataclan, avec un set ébouriffant et engagé livré par Joe Talbot et ses musiciens. Une soirée mémorable !
Tiens, un beau cadeau d’anniversaire pour moi en 2018 : le meilleur groupe live en activité, mes chouchous de IDLES dans la meilleure salle du monde, le Bataclan. Idéal, non ? Je me suis placé à la crash barrier sur la droite, pour éviter le centre où ça peut s’avérer un peu « sportif, » du genre « échauffourée entre gilets jaunes et CRS », et pour varier le point de vue par rapport à Rock en Seine, où j’étais sur la gauche. Ce soir, on espère qu’après l’avenue Kleber ce samedi, ce soit au Boulevard Voltaire qu’on puisse chanter : « Paris’s burning ! »…
20h00 : JOHN, le groupe, c’est John Newton au chant et à la batterie, et John je ne sais pas quoi à la guitare. « Bonne chance pour nous trouver sur Internet, les gars ! ». La musique de JOHN, c’est un punk hardcore sans concessions, porté par une rythmique d’enfer et hurlé par notre très affable barbu, tandis que son acolyte martyrise une guitare qui ne lui avait rien demandé, pourtant. Bon, on va dire que 30 minutes de ce régime raide, c’est bien, mais pas sûr que l’on aimerait que ça dure plus longtemps, vu que les mélodies sont portées disparues et que les textes sont inaudibles. Pourtant, pourtant, ne nions pas que c’est bien sympathique, et que ça constitue une parfaite entrée en matière avant IDLES.
21h05 : Le Bataclan est bourré et le concert n’a pas encore commencé que la température ambiante, comme toujours dans cette salle, entre dans la zone rouge.
Les premiers accords du fabuleux Colossus s’élèvent, et Joe Talbot commence sa psalmodie terrifiante dans une demi-obscurité : c’est déjà le grand frisson. « Forgive me father, I have sinned / I’ve drained my body full of pins / I’ve danced til dawn with splintered shins / Full of pins, full of pins ». Tout le monde hurle déjà « Goes and it goes and it goes » en attendant le délicieux pic d’hystérie qui va, qui doit arriver. Mais avant de lâcher les rênes, ou les fauves, comme on dit, Joe nous prévient : « On est ici pour le plaisir d’être ensemble, donc pas d’agressivité, pas de gestes de violence, s’il vous plaît »… « Joy is an Act of Resistance », comme ils le clament sur leur dernier album ! Et c’est parti : le Bataclan explose, et une marée humaine déferle sur les premiers rangs, le circle pit a semble-t-il englouti la majeure partie du parterre, et à ma grande horreur, je sens et je vois les crash barriers qui se plient littéralement devant moi sous la pression de la foule déchaînée ! Me revient à l’esprit d’un accident du même type il y a quelques années, je ne me souviens plus dans quelle salle parisienne, plusieurs personnes avaient été blessées. Le service d’ordre panique un peu devant, la fosse des photographes étant réduite de moitié, et les videurs s’arcboutent contre les barrières métalliques. Sur scène, IDLES enchaîne avec le redoutable Never Fight a Man with a Perm, sans réaliser ce qui est en train de se passer. Heureusement, les services techniques interviennent rapidement, et mettent en place les pièces manquantes pour fixer les crash barriers au sol, avec une efficacité rassurante pour nous : ouf, on va pouvoir jouir tranquillement du concert !
Je suis un peu, du coup, passé à côté du plaisir de gueuler « Mother… Fucker ! » sur Mother, première chanson politique sur la misère sociale, bien pertinente d’ailleurs dans notre contexte politique français actuel. Mais je ne louperai pas celui de hurler le sublime slogan « This snowflake is an Avalanche ! » après que Joe Talbot ait clairement identifié notre position sur l’échiquier : « I’m lefty, I’m soft / I’m minimum wage job / I am a mongrel dog / I’m just another cog / I’m scum… ». Je me dis que, s’il n’y avait pas eu les violences de samedi, Joe se serait sans doute pointé ce soir avec un gilet jaune, mais on connaît son horreur absolue de la violence, donc… il se contentera de commenter un peu plus tard dans le set : « Vous avez à la tête de votre pays un psychopathe, nous avons à la tête du nôtre une psychopathe… », le message est clair, le combat est le même : UNITY !
Et UNITY !, c’est le cri de désespoir et de fierté de Danny Nedelko, sans doute la plus belle chanson de IDLES, et en tout cas, le sommet de la soirée pour moi. Commençant par un gimmick à la Freddy Mercury (un immigré, comme le rappelle la chanson), cette tuerie punk est à la fois une grande chanson pop et un brillant manifeste anti-populiste : « Fear leads to panic, panic leads to pain /Pain leads to anger, anger leads to hate / Yeah, yeah,Hey, ey, ey, ey ». Tout le monde chante en chœur dans le Bataclan, et ce bon vieux Joe en a les larmes aux yeux. A la fin, il remercie le public pour « avoir donné un sens à cette chanson qui n’en avait pas assez quand je l’ai écrite… ». Pour moi, ça pourrait se terminer là ce soir, après six morceaux, que l’objectif aurait été atteint. Mais, sans doute parce qu’il s’agit de la dernière date de la tournée, IDLES va se montrer particulièrement généreux avec nous, et approcher les 1h45 de set, chose difficilement concevable quand on considère le niveau de dépense physique du groupe…
Musicalement, IDLES passe évidemment bien mieux dans le cadre chaleureux et avec le son comme souvent redoutablement élevé du Bataclan qu’à Rock en Seine. Si le chant de Joe est un peu uniformisé par l’énergie live, et si Mark Bowen fait plus le clown qu’il ne joue de la guitare, ce qui dénude quand même bien le son du groupe, la machine rythmique d’Adam et du délicieux Jon, véritable générateur de bonne humeur derrière ses fûts, permet au groupe de déverser sans répit ses hymnes post punk. Evidemment moins sophistiqués – si j’ose dire – que sur disque, les morceaux passent en force, à la rage, à l’émotion et au plaisir. Bowen et Kiernan, les deux guitaristes, entrent régulièrement dans la foule pour venir participer aux pogos, et Talbot – le plus souvent en français – explique presque à chaque chanson le contexte dans lequel elle s’inscrit, répétant clairement sa vision militante, grosso modo la confrontation des politiques (de droite…) sans recours à la violence. Le tout dans une ambiance turbulente et bon enfant : il se passe toujours quelque chose sur scène dans un concert de IDLES, et c’est d’ailleurs dommage qu’il me soit si difficile de prendre des photos du fait des lumières réduites et du chaos permanent autour de moi : bah, les vrais souvenirs sont dans la tête, on le sait bien…
On en arrive à Exeter (« Steven’s in the bar for a bar fight / Nick’s in the bar for a bar fight / Danny’s in the bar for a bar fight, etc. »), grand moment de fête collective : Joe demande au service d’ordre – enchantés pour le coup qu’on s’intéresse à eux – de faire monter sur scène une jeune femme en fauteuil roulant, puis pas mal d’autres spectateurs, pour LE moment festif de la soirée, qui met la banane à tout le monde. C’est évidemment très touchant de voir la joie qui se dégage de tous les visages sur scène, et je me dis que, de toute ma longue carrière de fan de musique, IDLES est le premier groupe véritablement punk à avoir un message aussi radicalement positif (bon, j’avoue que je mettrais presque les Bérus dans le même sac, pour le sens de la fête et des extrêmes sans que la rage n’ait finalement le dessus par rapport à l’humanité).
On est dans la dernière ligne droite, Well Done est notre récompense pour avoir tenu le coup physiquement. Tiens, ça me rappelle pas mal notre Président, et son fameux « il suffit de traverser la rue… » : « Why don’t you get a job ? / Even Tarquin has a job / Mary Berry’s got a job / So why don’t YOU get a job ? ». Quand on sait que “Tarquin” qualifie en Angleterre un snob qui se croit supérieur à tout le monde, surtout les “gens d’en bas”, il est difficile de ne pas apprécier l’ironie de la chanson dans le climat français actuel ! Alors, tous en chœur : « Well done ! ». Tout le groupe entame maintenant a capella le petit sketch bouffon de All I Want for Xmas is you, qui fait toujours bien rire… avant de conclure par les choses sérieuses : Rottweiler, ultime tuerie et chanson “anti-fasciste“ comme le clame bien fort Joe.
Voilà, c’est fini, et ainsi se termine, dans un chaos sonique animé par des stroboscopes aveuglants qui dure une bonne dizaine de minutes – et rappellera, toute proportions gardées, les conclusions de concerts de My Bloody Valentine -, ce concert qui restera forcément dans la mémoire de tous ceux qui étaient là ce soir. On est tous trempés comme des soupes, éreintés et à demi-sourds, comme il se doit au sortir d’un VRAI concert de rock, de punk rock même.
« Cette machine tue les fascistes… » pourrait être une belle conclusion de cette soirée, en ajoutant même… et les banquiers aussi, mais je sais que Joe Talbot ne serait pas du tout d’accord avec la violence de mon propos. So long, Joe !
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de IDLES sur scène :
Joe Talbot – voice
Adam Devonshire – bass guitar
Mark Bowen – guitar
Lee Kiernan – guitar
Jon Beavis – drums
La setlist du concert de IDLES :
Colossus (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Never Fight a Man With a Perm (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Mother (Brutalism – 2017)
Faith in the City (Brutalism – 2017)
I’m Scum (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Danny Nedelko (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Divide & Conquer (Brutalism – 2017)
1049 Gotho (Brutalism – 2017)
Samaritans (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Television (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Great (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Love Song (Joy as an Act of Resistance – 2018)
White Privilege (Brutalism – 2017)
Gram Rock (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Benzocaine (Brutalism – 2017)
Exeter (Brutalism – 2017)
Cry To Me (Solomon Burke cover) (Joy as an Act of Resistance – 2018)
Well Done (Brutalism – 2017)
All I Want for Christmas Is You (Mariah Carey cover)
Rottweiler (Joy as an Act of Resistance – 2018)