Une histoire d’amour d’aujourd’hui, dans un monde où les gens qui fuient la guerre ne parviennent pas forcément à trouver la paix dans leur pays d’accueil. Un récit poétique pour échapper à la cruauté du monde.
Entre le Berlin d’aujourd’hui et un Afghanistan en guerre, l’histoire d’une rencontre entre deux êtres que tout sépare, et inévitablement, la naissance du sentiment amoureux. Mais un amour impossible, à cause de blessures trop douloureuses. Heureusement, il reste le ciel…
Pas tout à fait une bande dessinée, Prendre refuge se définirait davantage comme un long poème dessiné. D’abord en référence au bouddhisme, c’est ensuite la thématique très actuelle des « migrants » qui y est évoquée, une thématique que l’on préfère souvent éluder d’un haussement d’épaule impuissant. Mais outre ces deux aspects, le refuge a aussi à voir avec le réconfort amoureux, ce besoin de se blottir dans les épaules de l’être aimé pour mieux affronter le monde.
Le personnage de Neyla, une enseignante ayant fui la guerre en Syrie, a donc « pris refuge » dans un Berlin où elle peine à se reconstruire, traumatisée par la destruction de sa ville, Alep. Elle y fait la connaissance de Karsten, dont la bienveillance semble impuissante à effacer les souvenirs douloureux du terrible conflit. De même, le sentiment amoureux qui naît entre les deux êtres semble également se heurter à un mur de souffrances. L’allusion au bouddhisme est incarnée par les fameux bouddhas de Bâmiyân, que Neyla avait découvert quelques années plus tôt, alors qu’ils n’avaient pas encore été détruits par les Talibans. De ce site grandiose, il ne reste que les cavités où les Bouddhas avaient pris « refuge ». Des cavités conservant le souvenir des statues, comme par un phénomène de persistance rétinienne.
De façon extrêmement graphique, les auteurs ne montrent pas d’images de guerre mais préfèrent regarder vers le ciel, tissant des fils dans les constellations, conférant ainsi une dimension mystico-poétique à l’histoire. La douleur de l’absence et de l’exil n’est que suggérée, et cet album atypique dégage beaucoup de douceur et de légèreté, non seulement par le plaisant dessin tout en à-plats noirs et blancs, mais aussi par l’économie de textes. Fruit d’une rencontre entre l’écrivain Mathias Enard, Prix Goncourt en 2015 pour son roman « Boussole », et la bédéaste-illustratrice libanaise Zeina Abirached, Prendre refuge ne joue pas tant sur la narration que sur le visuel. Il s’agit d’une œuvre immobile, telle un « refuge » au milieu du bruit et de la fureur de la guerre. Une œuvre qui méritera plusieurs lectures pour en saisir toutes les subtiles métaphores.
Laurent Proudhon
Prendre refuge
Scénario : Mathias Énard
Dessin : Zeina Abirached
Editeur : Casterman
344 pages noir et blanc – 24 €
Parution : 5 septembre 2018